Quiproquo [Ted/Lola/Irina]

Le métier de Theodore ne se limitait pas à la simple surveillance d’éventuels criminels. Bien qu’il était effectivement là pour maintenir l’ordre et faire enfermer ceux qui le menaceraient, Ted faisait bien d’autres choses encore. En tant que responsable de la ville, il s’assurait que tout se déroule bien pour tout le monde. Tous les jours, il passait voir les commerçants pour voir s’ils n’avaient besoin de rien, si tout était en ordre. Mais il prenait également le temps de rendre visite aux fermiers des alentours. Bien qu’ils ne vivent pas directement à la ville, il y allait bien souvent et le shérif les connaissait. Après tout, son job ne se limitait pas non plus à la ville. Il devait veiller sur tout le conté. Ted était juste à quelques kilomètres à peine de la ville, dans un ranch voisin. Le propriétaire et lui discutèrent pendant un petit moment puis une fois que tout fut en ordre, Ted s’apprêta à partir.

Le mauvais temps était de la partie, le ciel était noir, on aurait presque dit que la nuit était tombée tant il faisait sombre. Un coup de tonnerre gronda soudainement au même moment où un éclair illumina le ciel. Aucun doute, il était juste au dessus. Mieux valait qu’il reste à l’abris jusqu’à ce qu’il passe. Mais un événement imprévu arriva… L’un des employés du ranch était en train de rentrer les bêtes lorsque, affolées par l’orage, elles firent demi tour et se mirent à courir dans des directions opposées. La valeur du ranch reposant uniquement sur le bétail, si celui-ci disparaissait, c’était la ruine pour le propriétaire. Il fallait absolument rattraper les bêtes rapidement.

Enfourchant son cheval, Theodore partit à leur poursuite avec leur propriétaire, lasso en main. S’en suivit une cavalcade à travers les plaines qui dura plus d’une heure. Le temps de ramener toutes les bêtes, de les compter et de s’assurer qu’elle était toutes là, l’orage avait presque cessé. Il s’était déplacé vers Tumbleweed à présent. Theodore fit ses adieux au propriétaire qui le remerciait chaleureusement puis il remonta sur son cheval pour se diriger vers la ville. Même si le temps était menaçant là-bas, il fallait de toute façon qu’il rentre. Trempé jusqu’aux os, il avait la sensation de glisser sur sa selle et s’y cramponnait donc plus que d’habitude.

Arrivés aux abords de la ville, Ted bifurqua pour se diriger vers la maison close. C’était bien plus proche que chez lui et il n’avait pas envie de rester mouillé plus longtemps. Attachant son cheval à l’abri, Ted se hâta d’entrer dans l’établissement pour enfin être au sec. Malgré tout, ses vêtements étaient imbibés d’eau, ce qui était loin d’être agréable. Retirant son chapeau par politesse, il salua les quelques filles présentes sur les lieux. Retirant ensuite le foulard rouge qu’il portait toujours autour du cou, il s’essuya le visage, encore ruisselant d’eau de pluie. Puisqu’il était là, il comptait bien rendre visite à Fran.

Grimpant l’étage, il se dirigea vers l’emplacement de la chambre qu’il connaissait bien puisqu’il s’y rendait souvent. Pas en tant que client, jamais ! Ted ne touchait jamais aux prostituées et surtout pas à Fran. Elle était son amie, il la respectait et ne se serait jamais permis le moindre geste déplacé envers elle même si elle était une belle femme. S’arrêtant devant sa porte, il allait ouvrir la porte quant il se souvint alors qu’elle… travaillait peut-être. Priant pour que ce ne soit pas le cas, il frappa quelques coups contre la porte. Vraiment, il détestait ce métier que pratiquait son amie… Une réponse se fit aussitôt entendre, visiblement elle était seule. Ted entra alors et referma derrière lui, posant son chapeau humide sur une petite table à l’entrée.

« Bonjour Fran. Tu vas bien ? Dis moi, tu n’aurais pas une serviette à me prêter ? Je t’arrête tout de suite, je n’ai pas essayé de nager tout habillé… C’est qu’il pleut comme vache qui pisse dehors ! Je me suis dit que je pourrais venir me réchauffer ici. » fit-il avec un sourire avant de réaliser ce qu’il venait de dire « Enfin en tout bien tout honneur hein ! »

S’approchant de Lola, il l’embrassa sur la joue puis s’empara de la serviette qu’elle lui donna. Il était content de voir qu’elle n’était pas nue bien que sa tenue laissait à désirer. Enfin, elle était là pour ça après tout… Ted détestait ça mais, bien qu’il le lui disait souvent, il évita d’aborder le sujet alors qu’il était là, dans sa chambre de travail. D’ailleurs, il perturbait peut-être ses plans ? Theodore retira sa chemise qu’il laissa tomber à terre et commença à s’essuyer.

« Désolé de débarquer comme ça… Mais comme tu as des vêtements à moi ici, je me disais que je pourrais venir les récupérer… Ca ne te dérange pas au moins ? T’attendais pas un client ? Non parce que je veux pas être un obstacle à ton travail non plus. »

Bien que d’un certain côté, il aimerait qu’elle cesse. Mais bon, c’était son choix, plus ou moins. Lola possédait quelques vêtements qui appartenaient à Theodore. Puisqu’il venait souvent ici, il n’était pas rare qu’il laisse certaines choses lui appartenant. La présence du shérif était presque une coutume pour les filles qui travaillaient là, elles étaient habituées à le voir trainer dans le coin. Sans la moindre gêne, Ted se déshabilla complètement pour terminer de se sécher. Une fois à peu près sec, il s’empara de des vêtements que lui tendait Fran et enfila tout d’abord sous-vêtement puis pantalon. Il ne comptait pas non plus trop s’attarder ici même s’il appréciait toujours la présence de l’espagnole. A vrai dire, il comptait attendre qu’elle termine de travailler pour l’accompagner jusqu’à chez elle. En attendant, il irait boire un verre au saloon à côté. Par chance, il n’aurait pas à sortir pour s’y rendre puisque les deux bâtiments communiquaient.

« Ca te dit qu’on mange ensemble ce soir ? J’attendrais que tu aies fini à côté. Je ne vais pas te monopoliser plus longtemps ! »

Enfilant sa chemise sans prendre la peine de la fermer, Theodore ouvrit la porte tout en remettant son ceinturon à son pantalon. Encore en train de s’habiller, il se rendit dans le couloir sans perdre de temps. Veston sous le bras, il ne remarqua pas que son étoile s’en était décrochée et qu’elle avait roulée jusqu’aux pieds de quelqu’un qu’il connaissait. A vrai dire, pour le moment il lui tournait presque le dos et ne pouvait donc la voir. Tourné vers Fran, il lui sourit, avant de tendre la main.

« Je crois que j’ai oublié mon chapeau. »

Lola remontait lentement la grande rue de Tumbleweed, un air de déception imprimé sur le visage. Encore une fois, elle était retournée chez l'apothicaire de la ville. La discussion qu'elle avait eu récemment avec Theodore était restée gravée dans sa mémoire, et elle s'était décidée à tenter de nouveau sa chance. Après tout, qu'avait-elle à perdre ? Rien du tout,  bien au contraire, elle ne pouvait qu'y gagner. C'était l'homme qui perdrait une talentueuse préparatrice s'il refusait de nouveau de l'embaucher. Elle avait bien remarqué l'air sombre de l'homme quand il l'avait vue à l'entrée de sa boutique, qui sentait bon les plantes. Un grand bocal était posé sur le comptoir, rempli de larges et fins morceaux de bois blanc et noir.

« De l'écorce de saule. Efficace pour les douleurs, mais dangereux en trop grande quantité... »

Non, Lola était loin d'être une idiote en la matière. C'était ce qu'elle avait tenté de prouver à l'apothicaire, mais ce dernier s'était détourné, et avait fait comme s'il n'avait rien entendu. Une attitude qui avait agacée la mexicaine, mais ce n'est pas pour autant qu'elle s'était découragée.

« Vous avez réfléchi à ma proposit–... »
« Inutile, Lola. Je n'ai pas besoin de toi ici. Va-t-en, j'ai du travail. »
« Mais je pourrais... »
« Non ! Sors d'ici. Ce n'est pas la peine de revenir, il n'y a pas de place pour toi ici ! »

Se rappelant du dialogue, les traits de la jeune femme s'assombrirent davantage, et ses poings se resserrèrent sur son châle qui couvrait ses épaules. Si elle s'était écoutée, si elle n'avait pas gardé son sang-froid... non, elle devait rester calme, toujours. Sinon les conséquences seraient désastreuses. La situation n'était déjà pas terrible, il ne servait à rien de l'aggraver encore plus.

Résignée, la mexicaine retourna à la maison close. Ça ne servait rien, peu importait ses capacités, elle serait toujours l'étrangère, elle serait toujours rejetée. Si Theodore avait remarqué qu'elle possédait d'autres talents que la simple faculté de satisfaire les hommes, tous les autres ne voyaient en elle qu'une catin à la peau sombre. Montant à l'étage du bordel et entrant dans sa chambre, la jeune femme échangea sa robe contre une tenue moins décente, plus aguicheuse... corsage et jupons ajustés, Francesca sortit de la pièce et retourna au rez-de-chaussée, sans remettre cependant aucun sourire sur ses lèvres. Le constat qu'elle avait établi plus tôt l'avait un peu mortifiée, et elle s'acharnait à maîtriser la colère qui grondait en elle.

S'accoudant dehors à la barrière, Lola regarda déambuler les habitants, passer les cavaliers et les chariots dans l'avenue avant de lever les yeux vers le ciel. Elle constata qu'il s'était noirci et qu'il était réellement menaçant. Sans doute qu'un orage n'allait pas tarder à gronder. Indifférente aux rires de ses camarades qui retentissaient dans le hall de la maison close en réponse à des propos d'hommes, Lola continua de scruter le ciel d'un air absent. Ainsi perdue dans ses pensées et ses souvenirs, elle sursauta en sentant une main se poser sur son épaule nue.

« Hé ben ma jolie, t'fais une sal'tête... j'm'en vais t'redonner l'sourire... »

C'était un grand bonhomme roux, que Lola avait déjà vu – et dont elle s'était déjà « occupée » plusieurs fois. Esquissant un sourire aguicheur artificiel, elle prit doucement la main de l'homme – elle ne savait plus son nom... Wilhelm ? – pour l'amener à l'étage. Une fois dans la chambre fermée, le client tenta de l'embrasser, mais la jeune femme anticipa son action, plaquant deux doigts sur sa bouche tendue et secouant la tête.

« Non. Pas de ça. »

C'était la règle de Lola. Elle ne savait pas si elle était la seule à faire cela, quoiqu'il en soit, elle refusait d'embrasser les clients. Oui elle était une fille de joie, oui elle partageait ses draps avec de nombreux hommes, mais elle n'embrassait pas, ni ne se laissait embrasser. Joindre ses lèvres avec celles d'un autre était pour elle une marque d'affection, or elle n'en éprouvait aucune pour tous ces hommes qui venaient la visiter. C'était ainsi, et pas autrement. L'homme grogna un peu en se remémorant ce détail, mais il oublia bien vite ce détail en entrant dans le vif du sujet.

Un long moment après, Lola avait revêtu à nouveau sa jupe, ainsi que son corsage qu'elle n'avait pas relacé, et qui dévoilait donc les courbes intérieures de sa poitrine et une partie de son ventre. Elle ne resserra pas les cordons, elle ne comptait de toute manière pas descendre tout de suite. Le rouquin était déjà parti, ayant laissé l'argent du service sur un coin de la table. La porte était refermée, ce qui pouvait laisser croire que la mexicaine était encore « occupée » et qu'il ne fallait donc pas la déranger. S'approchant de son miroir, elle détacha sa coiffure, laissant ses longs cheveux tomber sur ses épaules, et allait se recoiffer, quand des coups retentirent sur le panneau. C'était des coups assez doux, ce qui signifiait qu'il ne s'agissait ni d'un client, ni de la matrone. Ainsi, la jeune femme donna son autorisation pour la personne derrière la porte d'entrée., et quittant sa coiffeuse, se retrouva nez à nez avec Theodore, son ami. Il était dans un bien piètre état ; complètement trempé, jusqu'aux os. Lola haussa les sourcils, il avait piqué une tête dans le Río Aíslamiento ou quoi ? Apparemment non...

« Buenas tardes, Ted. Tu es dans un sale état ! Attends, je vais te chercher de quoi te sécher, fit-elle en se dirigeant vite vers l'armoire. Tiens, l'orage a fini par éclater alors... je m'en étais même pas rendue compte. Ne t'en fais pas, j'avais bien compris. Le contraire m'aurait étonnée, surtout venant de toi ! » plaisanta-t-elle avec un léger sourire.

Tirant une large serviette de son armoire, elle l'apporta à son ami et lui rendit son salut en l'embrassant sur la joue. Les visites de son ami lui faisaient toujours grand plaisir, marquant ainsi une pause dans son travail. Elle ramassa la chemise trempée de son amie et alla l'essorer dans une large vasque avant de l'étendre sur un dossier de chaise. Elle se tourna ensuite vers Ted, qui se séchait. Francesca secoua la tête ; sa mine était un peu sombre car la scène chez l'apothicaire flottait toujours quelque part dans son esprit, mais cela ne l'empêcha pas de sourire au shérif.

« Absolument pas. Tu sais que tu es et seras toujours le bienvenu ici. Je viens juste d'avoir un client donc non je n'attends personne, et je ne verrais plus personne d'autre si je ne redescends pas dans le hall. Ah oui c'est vrai, attends, je vais te les chercher. Laisse le reste de tes affaires sur la chaise, je les mettrais à sécher ! Tu as du rester un moment sobre la lluvia pour être comme ça ! Qu'est-ce qui t'es arrivé ? Tu as été pris par surprise ? »

Pendant que son ami se déshabillait entièrement et terminait de se sécher, Lola trouva les habits que Theodore avait en effet laissé ici. Il n'était pas rare qu'il dépose quelques affaires dans cette pièce qu'il visitait souvent pour rencontrer la mexicaine, en toute amitié contrairement aux autres hommes qui entraient ici. Quand il eut terminé, il put revêtir les vêtements que lui avait déniché la mexicaine. Cette dernière n'était nullement choquée de voir son ami dans son plus simple appareil. C'était un homme, il était comme tous les autres. Le laissant tranquillement s'habiller, la jeune femme étendit ses autres vêtements. Mouillés comme ils étaient, ils mettraient du temps à sécher. Heureusement qu'il avait de quoi se rhabiller ici !

La porte restée légèrement entrouverte laissait filtrer un grand brouhaha venu du hall. Avec cette pluie, de nombreuses personnes avaient du trouver refuge dans la maison close ou dans le saloon qui était le bâtiment communiquant. Il y aurait encore bien des clients... Francesca eut un mince soupir. Son échec de l'après-midi était encore cuisant. Elle se croyait bien partie pour rester toute sa vie dans le bordel de Tumbleweed... Elle sortit de ses pensées quand Theodore s'adressa de nouveau à elle. Elle lui sourit et acquiesça.

« ¡ Será un placer ! Je demanderais à la matrone de terminer plus tôt, comme ça je ne te ferais pas trop attendre. Je suis toujours heureuse que tu me viennes me voir, señor Pumba. »

Il n'avait pas même fini de s'habiller complètement qu'il avait déjà ouvert la porte, mais remettait encore son ceinturon. Il était si pressé que cela ? Enfin, il avait peut-être d'autres choses importantes à faire, en sa qualité de shérif ! Comme il demanda son chapeau, Fran le récupéra, comme il l'avait posé sur la table. Mais ignorant sa main tendue, elle s'approcha de lui et le lui mit elle-même sur la tête, embrassant sa joue au passage. Elle sourit à son ami.

« Évidemment, que serait le shérif de Tumbleweed sans son stetson ? Je te promets de faire vite pour te rejoindre tout à l'heure, amigo. »

Comme il commençait à se tourner vers la porte, Lola aperçut une silhouette qui se tenait dans l'encadrement. Elle ne lui était pas inconnue puisqu'il s'agissait d'une de ses camarades de la maison close. La mexicaine la salua, sans se départir de son sourire.

« Olà, Irina. Comment vas-tu ? Tu as besoin de quelque chose ? »

Theodore ne se gênait pas pour agir comme il l’entendait bien souvent. Toutefois, si cela concernait Fran, il faisait déjà plus attention à ne pas empiéter sur son espace privé. Bien qu’il évitait de trop en parler, il détestait ce métier qu’elle faisait. S’il avait su, lorsqu’ils étaient plus jeunes, qu’elle terminerait ainsi, il aurait tout fait pour lui trouver un autre métier, une autre place qu’elle méritait davantage que celle-ci. Mais ce qui était fait était fait et malgré toute sa bonne volonté, il ne pouvait aller à l’encontre de la sienne. C’était sa vie après tout, elle faisait ce qu’elle voulait. Mais le shérif était content de ne pas tomber nez à nez avec un client alors qu’il entrait dans la pièce. D’ailleurs, elle s’attendait peut-être à ce que ce soit un client qui frappe et non lui. Si Ted en avait croisé un, il lui aurait très certainement collé son poing dans la figure par réflexe. Personne ne déshonorait son amie… Mais d’un autre côté, c’était son choix et il ne voulait pas lui attirer d’ennuis. Cruel dilemme.

Au moins, Fran l’accueillait toujours avec le sourire, preuve qu’il ne la dérangeait pas. Theodore la salua comme à son habitude, ne se gênant pas pour l’embrasser sur la joue. Après tout, ils étaient proches et Ted la considérait même comme sa sœur. Jamais il ne se serait permis de la toucher autrement que de cette façon. De toute façon, il ne nourrissait à son égard qu’une affection fraternelle, rien d’autre. Ainsi, il ne pensait jamais à mal lorsqu’il parlait, mais il se corrigeait toujours lorsqu’il pensait qu’il y avait un risque pour qu’elle prenne ses paroles de travers. Au fond, il savait bien qu’elle avait conscience que jamais il ne se transformerait en l’un de ses clients, mais il préférait toujours le rappeler.

« Ca pour pleuvoir, il pleut… Foutus vêtements qui absorbent l’eau… Enfin ça me donne une excuse pour te voir ! »

Se débarrassant de ce qui le gênait, Ted remercia Fran pour la serviette et l’utilisa aussitôt pour se sécher. Etre humide n’était jamais agréable et la serviette faisait parfaitement son office. Theodore était bien content de pouvoir venir ici la voir quand il le désirait mais il craignait toujours de la déranger. Comment pourrait-elle travailler si le shérif occupait constamment sa chambre ? Rien de pire pour faire fuir les plus courageux des clients… Fran lui assura cependant qu’elle venait tout juste de se séparer d’un client. Ce qui expliquait le fait que son corsage ne soit pas attaché complètement, dévoilant une partie de sa poitrine. Ca, Ted aurait préféré l’ignorer mais il faisait avec. Mais elle fit une remarque sur laquelle il ne put s’empêcher de rebondir.

« si je t’enferme ici alors, plus de clients ? Je vais y songer… » fit-il avec un léger sourire

Bien sûr, il plaisantait mais il était tout de même à demi sérieux. Puis il hocha la tête et commença à retirer le reste de ses vêtements pour les déposer sur la chaise. Fran lui demandait ce qui lui était arrivé. Relevant la tête vers elle, il crut remarquer qu’elle n’était pas aussi joviale qu’à son habitude. Un problème avec un client ?

« Figure toi que j’ai dû aider un fermier à rapatrier ses vaches égarées. Elles n’ont pas été très coopératives si tu vois ce que je veux dire. Pas de chance, la pluie a commencé à tomber à ce moment là… Au moins, je suis propre, à défaut d’être sec. » expliqua t-il avant de plisser les yeux  « Tout va bien ? Tu fais une drôle de tête. »

Theodore serait bien resté là jusqu’à que la pluie cesse de tomber mais il ne voulait pas apporter des problèmes à Fran en l’empêchant d’avoir de nouveaux clients. Il se dépêcha donc de se rhabiller, étant déjà sur le départ. Toutefois, avant de quitter les lieux, il proposa à son amie de manger avec lui ce soir, histoire qu’ils passent un moment ensemble. Elle accepta aussitôt, déclarant même chercher à finir plus tôt. Ted ne savait pas si c’était possible mais de toute façon il comptait bien l’attendre, peu importe le temps que cela prendrait.

« Parfait, je t’attendrais en bas. Je me sens en veine, malgré la pluie. Je vais faire fureur au poker ! »

Encore en train de reboutonner sa chemise, Theodore sortit dans le couloir non sans quitter Fran des yeux. Il réalisa alors qu’il avait oublié son chapeau à l’intérieur et le lui réclama. Aussitôt, elle vint le lui apporter mais le lui posa directement sur le crâne, lui offrant un bisou par la même occasion. Le shérif lui sourit et hocha la tête pour la remercier. Il n’avait même pas vu qu’il avait perdu quelque chose. Ce n’est que lorsqu’il sentit une main sur son épaule qu’il se retourna, constatant qu’Irina se trouvait là. Elle lui souriait et il le lui rendit, content de la voir là même si ça signifiait qu’elle travaillait. Etrangement, le souvenir de leur nuit ensemble le mit un peu mal à l’aise. Lui qui s’était promis de ne jamais touché à une prostituée, il avait finalement sauté le pas. Mais… cela avait été différent. En fait, Ted avait oublié que la jeune femme était une fille de joie. Maintenant qu’il était dans le bordel, il s’en souvenait… Elle tenait quelque chose à la main, lui certifiant qu’il avait perdu quelque chose. Sans qu’il eut le temps de faire ou de dire quoique ce soit, Irina lui attrapa son veston et épingla l’insigne qu’il avait égarée avant de le lui redonner. Elle avait remis avec précision le badge à sa place, comme s’il n’avait jamais quitté sa place. Une fois dans les mains, Theodore en profita pour enfiler son veston et ainsi constaté qu’effectivement, son insigne était à la parfaite place.

« Bonjour Irina, content de te voir. Merci pour l’insigne ! Il ne manquerait plus que je la perde… Quel shérif je fais. »

Il se pencha vers elle pour l’embrasser sur la joue afin de la remercier mais également de la saluer. Il n’était pas rare qu’il l’embrasse alors pourquoi se priverait-il ? Parce qu’il y avait de potentiels clients ? Ted supposait qu’eux ne se gênaient pas non plus… Fran salua Irina qui fit de même. Ted fut surpris qu’elles se connaissent mais supposa que toutes les prostituées se connaissaient plus ou moins. Généralement, elles étaient plutôt solidaires entre elles, comme un clan à part entière. Ted les laissa discuter, les observant simplement. Il réalisa alors que leur rencontre tombait parfaitement bien. Il devait demander quelque chose à Fran à propos d’Irina mais ce n’était peut-être pas le moment… De toute façon, Ted n’eut rien le temps de dire qu’Irina les quittait déjà. Comme s’il se réveillait soudainement après la bataille, le shérif la rattrapa par le bras, mais sans la brusquer.

« Attends Irina ! Tu ne nous déranges pas, j’allais descendre de toute façon. Lola et moi on dine ensemble ce soir. Tu veux te joindre à nous ? Ca me ferait plaisir et ce sera la parfaite occasion pour vous proposer quelque chose à toutes les deux. J’attendrais le temps qu’il faudra à l’étage mais j’espère bien que tu accepteras. » fit-il avec un sourire avant de regarder les deux femmes tour à tour «  Vous préférez diner en ville ou bien venir chez moi ? Je vous préviens, je suis piètre cuisinier hein. Je ne cuisine jamais, je me contente de manger ce qui me tombe sous la main. » prévint-il « Si vous voulez me porter chance au jeu… je serai en bas. »

Soulevant son chapeau, il les salua toutes les deux puis, une fois la réponse obtenue, il descendit les escaliers menant au saloon. Là, il rejoignit une table de jeux, déposant son chapeau sur le bord. Il avait peu d’argent à jouer mais il ne doutait pas gagner. Il gagnait toujours. Au moins, cela faisait passer le temps jusqu’au moment où les deux prostituées le rejoindraient pour qu’ils puissent passer leur soirée loin d’éventuels clients. Si Ted pouvait leur offrir une vie sans avoir besoin d’écarter les cuisses, il le ferait aussitôt.

Francesca était toujours heureuse de voir Theodore. Dans toute la ville de Tumbleweed, c'était sans doute le seul qui la respectait vraiment et qui était son ami. La preuve, c'est qu'il désapprouvait le métier que la jeune femme exerçait. On ne pouvait en effet pas dire qu'être prostituée était le meilleur travail qui soit. Les femmes étaient traitées comme des objets après tout. Si Lola avait en effet choisi cette voie, ça n'était pas totalement exact. Au départ, elle avait commencé à travailler comme serveuse dans le saloon. Mais bientôt, une certaine pression s'était exercée sur elle afin qu'elle rejoigne la maison close, et Lola avait fini par y céder. Au moins, elle gagnait assez bien sa vie, mais l'estime que l'on avait pour elle s'était encore amoindri. Il n'avait de toute manière jamais été très important, à cause de ses origines.

Mais cela, Ted s'en fichait. Le shérif était un ami de la jeune femme, depuis l'adolescence. Et même s'ils s'étaient perdus de vue durant un moment, quand l'homme était revenu, son affection pour la mexicaine n'avait pas changé. Il avait même déploré son métier. Lola se disait souvent que si elle avait eu un frère, elle aurait aimé qu'il ne soit pas différent du shérif. Ils avaient toujours le sourire quand ils étaient ensemble, et d'ailleurs Theodore était le seul homme que Lola embrassait volontiers sur la joue. C'est ce geste qu'elle eut pour lui pour répondre à son salut, quand il débarqua dans la chambre de travail de la jeune femme, trempé jusqu'aux os. Rapidement, la fille de joie fournit une serviette et des vêtements à son ami afin qu'il puisse se sécher et éviter ainsi de prendre froid.

« Comme si tu avais besoin d'une excuse pour venir ! » rit la jeune femme.

Ted était toujours la bienvenue, que ce soit sur son lieu de travail ou chez elle. Avec lui, elle se sentait un peu moins seule, elle avait l'impression d'exister vraiment pour quelqu'un. Rien à voir avec les hommes qui venaient partager sa couche. Ceux-là venaient simplement pour faire leurs petites affaires et s'en allaient en ayant laissé l'argent. Discuter ? Pourquoi faire ! Une femme était déjà de nature inférieure à l'homme, alors vous pensez, une prostituée doublée d'une étrangère ? Au final, Lola ne discutait réellement qu'avec quelques unes de ses semblables et Theodore. Il était son meilleur ami et était prête à tout pour lui.

Elle le rassura sur son emploi du temps : elle venait juste d'avoir un client et n'attendait donc personne d'autre. Elle ne recevrait probablement personne d'autre si elle ne redescendait pas dans le hall encore une fois. Elle n'en avait pas envie en tout cas pour le moment. Son humeur s'était assombrie depuis quelques heures, et seule la présence de Theodore avait réussi à la rendre un peu plus joyeuse. Comme maintenant, alors qu'il plaisantait en parlant de l'enfermer dans cette pièce pour qu'elle ne reçoive plus personne. Elle fit un sourire pour son ami, bien qu'elle devinait qu'il était un peu sérieux quand même. Ted aurait aimé la voir quitter ce métier. Pourtant, malgré les efforts qu'elle faisait, ce n'était pas gagné. Quoiqu'il en soit, elle demanda ce qui était arrivé à son ami pour qu'il se retrouve dans cet état.

« Je vois d'ici la belle cavalcade sous la pluie... au moins ça n'aura pas été pour rien. » fit-elle en étendant ses autres vêtements. Elle eut un léger soupir avant d'expliquer à Ted ce qui n'allait pas. « Ce n'est rien... je suis allée chez l'apothicaire. Tu sais, j'aurais aimé travailler là-bas. Mais je me suis faite encore jetée. Ce n'est plus la peine que j'y retourne. »

Francesca tentait d'être normale, mais elle ne pouvait pas dissimuler une certaine pointe de déception dans sa voix. Mais elle trouverait bien un moyen de changer sa situation, tôt ou tard. En attendant... elle continuerait à être fille de joie. Il fallait bien qu'elle vive.
Theodore se prépara à prendre congé, mais non sans avoir proposé à la jeune femme de manger avec lui ce soir. La perspective de passer davantage de temps avec son ami enchanta la mexicaine qui accepta aussitôt. Ainsi, elle se débrouillerait pour terminer le travail plus tard et rejoindre au plus vite le shérif qui, en attendant, irait jouer au poker au saloon.

« Alors buena suerte, amigo ! »

Elle avait cru comprendre que Ted ne se débrouillait pas si mal que ça au poker. Le bluff ça le connaissait. Et heureusement... sinon, il y a belle lurette que les gens de Tumbleweed connaîtrait sa faiblesse aux armes à feu. Amenant son chapeau au shérif, Lola en profita pour le lui poser sur la tête et déposer un bisou sur sa joue. Puis, apercevant Irina, une de ses camarades de la maison close qui se tenait dans l'encadrement de la porte, Lola la salua. La jeune femme avait récupéré l'écusson en forme d'étoile de Ted, qui était tombé à terre, et l'avait épinglé de nouveau au veston que l'homme tenait sous son bras, avant de le remettre. Il salua également la jeune femme, qu'il tutoyait et embrassait sur la joue. Sans doute s'étaient-ils liés d'amitié également. En tout cas, Lola prit des nouvelles d'Irina aussi, cette dernière se préparait à redescendre dans le hall, pour aller « à la pêche »... mais Ted la retint, pour lui proposer de se joindre à eux ce soir. Il avait même quelque chose à dire à toutes les deux, et Lola le regarda d'un air interrogateur. De quoi pouvait-il bien s'agir ? Quoiqu'il en soit, elle n'était pas contre le fait qu'Irina vienne avec eux. Elle appréciait ses camarades, qui lui arrivait e protéger contre des clients trop brutaux. Francesca rit doucement aux propos du shérif.

« Je me rappelle d'une fois où tu as tenté de faire la cuisine, il y a quelques années... je pensais que tu aurais pu t'améliorer ! Le taquina-t-elle légèrement. C'est comme tu le souhaites, amigo, on peut aller chez toi et je m'occuperais de la cuisine. À moins que tu ne préfères sortir carrément, Irina ? »

Comme elle allait venir avec eux, elle avait aussi son mot à dire. Souriant à Theodore, Lola le salua de nouveau avec un hochement de tête, comme il allait s'éloigner en direction du saloon en attendant l'arrivée des deux femmes. Il fallait expédier cette journée de travail, elle était bientôt terminée. Irina étant déjà prête pour redescendre, Francesca avait juste à se recoiffer et resserrer son corsage... mais elle pouvait même le laisser ainsi, ça attirerait plus vite la clientèle et elle en aurait fini plus tôt. Elle signifia à sa camarade qu'elle allait la rejoindre dans le hall, et quelques coups de brosse plus tard, descendit les escaliers pour retourner dans la pièce principale. Elle était bondée... Lola n'avait même pas fini de descendre complètement les marches qu'un homme lui attrapa le bras pour l'attirer contre lui. Celui-là, il devait venir du saloon, vu son haleine qui empestait l'alcool... berk. Francesca était heureuse de ne pas embrasser les clients. Mais elle fit aussi bonne figure que possible et se fit aguichante pour séduire plus vite l'homme. Il fallait en finir le plus vite possible...

Il dut se passer une heure, une heure et demie grand maximum. L'homme avait quitté la chambre de Lola, et cette dernière soupira de soulagement. Enfin, c'était fini ! Elle allait pouvoir rejoindre Ted et Irina. Est-ce que cette dernière avait fini son service aussi ? Fran n'en avait aucune idée, mais comme ils s'étaient donnés rendez-vous au saloon, la mexicaine supposa qu'elle la retrouverait là-bas. Elle fit donc une rapide toilette et enfila une tenue décente, ajoutant un châle sur ses épaules. Il pleuvait toujours aussi fort dehors, c'était vraiment rare. Heureusement, Lola n'eut pas à passer par l'extérieur, une porte reliait la maison close et le saloon. Rejoignant l'établissement mitoyen qui empestait l'alcool et le tabac, et où régnait une bonne ambiance où se mêlait rires, musique et entrechoquements de verre, elle ne tarda pas à repérer Ted qui jouait toujours au poker. Elle s'approcha doucement de lui, tapotant simplement son épaule pour lui signifier sa présence, mais ne dis rien de plus. Il était toujours concentré sur son jeu, et il ne valait mieux pas le déconcentrer. Quant à Irina, elle n'avait pas l'air d'être présente...

Même si Fran était l’amie de Theodore, celui-ci cherchait toujours une excuse pour venir la voir, ayant toujours l’impression de la déranger. Personne ne lui disait rien lorsqu’il venait occuper la chambre de la jeune femme. A vrai dire, toutes les prostituées savaient qu’il ne les touchait pas, qu’il n’avait jamais touché Lola et qu’il ne le ferait jamais. Il ne les regardait jamais comme des objets ou des moins que rien, il les considérait tout simplement comme des femmes. Qui n’avaient pas eu de chance, mais des femmes tout de même. Il détestait que des hommes les maltraite et sa présence avait tendance à calmer les éventuels causeurs de problèmes. Les filles de joie n’étaient donc jamais contre la présence du shérif. Après tout, ce n’était pas comme s’il faisait fuir les clients. Fran, elle, était en tout cas toujours contente de le voir et elle le lui affirmait à chaque fois.

« Hé, je viens tout de même pendant tes heures de boulot… La matrone va finir par me jeter dehors un de ces quatre. Enfin, ça ne me dérangerait pas de payer pour passer du temps avec toi. »

S’il fallait en arriver là pour que la présence de Theodore ne soit pas indésirable et ne fasse pas perdre de temps à Fran, il était prêt à le faire. Il ne roulait pas sur l’or mais qu’importait. Il possédait peu de choses et n’avait pas besoin de posséder de nombreuses richesses pour être heureux. D’ailleurs, certaines de ses affaires se trouvaient ici, chez la mexicaine. Il profitait de son passage ici pour se sécher et se changer. Rester collé dans des vêtements trempés était le meilleur moyen de tomber malade. Et Ted ne pouvait pas se permettre de tomber malade. S’il n’était plus capable de faire son métier, ne serait-ce qu’une journée, il craignait que la ville ne devienne à feu et à sang. Vraiment, il devenait urgent qu’il trouve un adjoint… Ou même plusieurs. Mais un déjà, lui serait d’une grande aide. Ted raconta donc à son amie pourquoi il était dans un état pareil. Au moins, elle ne se moqua pas de lui, mais le shérif remarqua bien à son air que quelque chose n’avait pas l’air de tourner rond. Lola expliqua alors qu’elle était retournée voir l’apothicaire dans l’espoir d’obtenir un nouveau travail. En vain. L’homme ne désirait visiblement pas d’elle du tout. Agacé par cette situation, le shérif tapa du poing sur le mur à côté de lui.

« Bon sang mais ce type ne comprend rien !! T’es talentueuse, douée, tu connais bien ce métier ! Il est aveugle ou quoi ?! Pfff… T’aurais meilleur temps d’ouvrir ta propre boutique ! »

Theodore lâcha un soupir agacé puis vint poser sa main sur l’épaule de Lola.

« Baisse pas les bras. Moi je te soutiendrais toujours Fran. Ils ne te connaissent pas comme je te connais. »

Il espérait sincèrement qu’un jour, elle pourrait quitter ce travail. Terminant de s’habiller, Ted prit le chemin de la sortie, saluant la jeune femme tout en lui proposant de diner en sa compagnie ce soir. Ainsi, ils auraient davantage le temps pour discuter. Mais le shérif ne remarqua pas que son insigne était tombée. Heureusement, Irina l’avait vu, elle, et vint la replacer tout en saluant les deux amis. Elle dû se sentir de trop car elle ne s’attarda pas, amorçant un mouvement pour retourner chercher des clients. De un, Theodore n’aimait pas la voir  « travailler » elle non plus. Peut-être était-ce à cause du fait qu’ils avaient couché ensemble, il n’en savait rien. Toujours était-il qu’à présent, cela le dérangeait. De deux, il avait quelque chose à lui proposer et dû donc la retenir. De trois, il ne voulait pas qu’elle croit qu’elle les dérangeait. Ainsi, il lui proposa de se joindre à eux pour manger. Il ne songea même pas à demander à Lola si cela lui convenait, supposant que voir l’une de ses collègues ne la dérangerait pas spécialement. De ce qu’il savait, toutes les filles s’entendaient bien et étaient assez unies.

S’ensuivit toute une discussion où Theodore en prit pour son grade niveau qualités culinaires. Certes, il ne savait pas tellement bien cuisiner… Mais il savait faire cuire un steak et quelques pommes de terre ! Bon le steak était parfois un peu trop cuit, ressemblant plus à une semelle qu’autre chose… mais au pire des cas, il avait de la viande séchée toute prête ! Pas forcément le repas dont pouvaient rêver les filles mais bon… Lola ne manqua d’ailleurs pas de le taquiner sur le sujet, lui rappelant son manque de compétences. Pour quoi allait-il passer devant Irina ?

« J’ai pas vraiment le temps de me préoccuper de ce genre de choses. Puis ce n’est pas comme si je devais cuisiner pour quelqu’un d’autre que moi ! De plus, j’ose te rappeler que lorsqu’on était petits, tu me préparais des boulettes de terre en guise de repas hein ! » lança t-il en riant pour la taquiner

Lola se proposait pour cuisiner, tout comme Irina qui accepta de diner chez eux plutôt qu’ailleurs. C’était toujours elle qui cuisinait en fait et cela ennuyait Theodore qu’elle soit préposée à ce genre de choses. Pour une fois, il pouvait bien le faire ! Mais il craignait que le repas ne soit pas terrible.

« Je sais que tu es bonne cuisinière Lola. Irina aussi cuisine très bien, je ne me suis jamais autant régalé depuis… en fait je ne me souviens pas avoir déjà aussi bien mangé. Je vais finir par devenir gras… Enfin, je ne vous invite pas à partager un repas pour que ce soit vous qui cuisiniez hein ! »

Puisque la proposition de se retrouver tous les trois le soir était acceptée, Theodore salua les deux prostituées puis descendit à l’étage. Vu qu’il pleuvait et qu’il devait les attendre, il préféra rester ici et jouer un peu au poker pour s’occuper. Il espérait que les filles pourraient esquiver leurs « obligations » mais il ne se faisait pas trop d’illusions. Assis à une table de jeu, il observait son jeu, plongé dans ses pensées. Si bien qu’il sursauta lorsque des bras vinrent entourer son cou. Il s’agissait d’Irina. Avait-elle déjà terminé ? Ils venaient à peine de se quitter pourtant… Elle le salua comme s’ils ne s’étaient pas vu puis se redressa pour venir s’asseoir sur ses genoux, lui affirmant qu’elle serait son porte-bonheur. Ted lui sourit puis passa un bras autour de sa taille, l’autre tenant les cartes. Tricher allait devenir impossible avec une seule main… mais si Irina lui portait effectivement chance, il n’en aurait pas besoin. Tournant la tête, il embrassa Irina.

«  Pour me porter chance. » se justifia t-il en souriant

Concentré sur le jeu, il remarqua qu’il parvenait à remporter toutes les manches. Pourtant il ne trichait pas. Son porte-bonheur devait réellement fonctionner. Mais il restait concentré sur les cartes et n’y fit pas attention. Néanmoins, lorsqu’il sentit une main se poser sur son pantalon, il leva les yeux vers Irina. Que faisait-elle ? Etait-ce bien le moment ? Cela dit, ce n’était pas désagréable, loin de là. Mais il commençait à être distrait et à penser à autre chose, resserrant son étreinte sur la taille de la jeune femme. Finalement, il commença à perdre… mais à vrai dire, il s’en fichait. Irina finit par stopper ce qu’elle faisait, lui murmurant qu’elle s’absentait quelques instants.

Theodore hocha la tête et la libéra, tantôt de se reconcentrer sur le jeu. Il fallait qu’il remonte, qu’il parvienne à regagner ce qu’il avait perdu. Peut-être tricherait-il, le temps de l’absence d’Irina. Le jeu avait repris, il menait. Une main tapota son épaule et Ted supposa qu’il s’agissait d’Irina, donc il ne se retourna pas. Il sentait que la personne se tenait à côté de lui, à sa gauche, mais il n’y fit pas attention. Puis un verre vint se poser devant son nez. Irina se tenait à sa droite, de retour. Ted lui sourit puis réalisa que ce n’était donc pas elle qui lui avait touché l’épaule. Il se tourna alors aussitôt à gauche et remarqua Lola.

« Ah tu es prête ? Je vais terminer et on va pouvoir y aller. » fit-il en souriant avant de se tourner vers l’autre prostituée « Merci pour le verre Irina, c’est gentil. »

Attrapant le verre, il en avala le contenu d’un coup et termina rapidement sa partie. Finalement, il avait pas mal gagné. A peine debout, Irina vint s’accrocher à son bras. Theodore la laissa faire, pas vraiment dérangé par sa façon de faire. Il attendit que Lola les suive puis s’arrêta sous le porche, dehors. La pluie tombait toujours et le bureau n’était pas juste à côté. En courant, ils y seraient vite… mais Ted doutait que les filles puissent courir aussi vite que lui. Il savait que Lola pouvait parfois se comporter comme un garçon sur certains points. Il ne connaissait pas assez Irina pour savoir si elle le ferait également ou pas. Retirant son chapeau, il le cala sur la tête de Fran.

« Je te le confie ! Au moins, tu auras la tête au sec ! »

Sans prévenir, il attrapa Irina et la souleva dans ses bras, la tenant telle une princesse. A défaut de courir vite, il courrait à sa place. Aussitôt, il s’élança sous la pluie, courant aussi vite qu’il le pouvait. Il jeta un coup d’œil rapide pour voir si Lola les suivait puis quand il en fut assuré, il hâta le pas jusqu’à s’arrêter une fois sous le porche de son bureau, au sec. Doucement, il déposa Irina à terre.

« Pas trop secouée j’espère ? Rentrez vous mettre au sec, je vais allumer le poêle histoire qu’on se réchauffe un peu. »

Sur ces mots, il entra à l’intérieur et monta à l’étage. Il entra dans l’unique autre pièce et pénétra dans l’espace qui lui servait de cuisine et aussi de lieu de repas. Il attrapa quelques bûches qu’il cala dans poêle et l’alluma. Une douce chaleur commença à s’étendre dans la pièce. Se redressant, il se tourna vers les filles.

« Bon, il est temps de se mettre aux fourneaux ! Vous avez une envie particulière ? J’ai pas mal de choix dans le garde-manger. »

Lola était toujours contente de voir que son ami lui rendait visite, même si c'était sur son lieu de travail. Ted n'aimait pas le métier qu'exerçait la mexicaine, et il aurait aimé la voir ailleurs que dans la maison close, Lola le savait. Malheureusement, c'était bien plus compliqué que cela. Personne ne voulait d'elle ailleurs, et pour subsister, la jeune femme n'avait pas vraiment eu d'autres choix que de rejoindre le bordel. L'avantage au moins, c'est qu'elle gagnait sa vie comme il fallait... mais elle ne souhaitait pas que Ted dépense quoique ce soit parce qu'il venait la voir ici. Il n'était pas un client, il était son ami, c'est tout. Elle secoua donc négativement la tête.

« Elle n'a pas intérêt. Et je ne veux pas que tu fasses ça... tu n'es pas un client. »

Jusqu'à présent, Ted n'avait pas eu de problèmes avec la matrone quand il s'agissait de venir voir Lola, pourquoi cela changerait-il ? S'il le fallait, elle irait spécifier à la patronne de l'établissement que le shérif serait toujours la bienvenue, quoiqu'il arrive. Elle ne devrait normalement pas refuser cela à la femme : après tout, la mexicaine attirait pas mal d'hommes, malgré sa réputation qui découlait du fait qu'elle était étrangère. Et s'il fallait qu'elle la vire... hé bien, Francesca tenterait de s'en sortir comme elle le pourrait. Elle retournerait faire la serveuse au saloon... elle irait voir de nouveau les lingères... ce n'était même plus la peine d'aller chez l'apothicaire, maintenant. Considérant Theodore, elle se remémora néanmoins une de leurs conversation. Pourrait-il la prendre comme adjointe ? Il voulait quelqu'un qui sache tirer et connaissait son habileté dans cette discipline... mais le souci, c'était qu'elle était une femme. Sans doute refuserait-il... mais si elle venait à se retrouver avec des problèmes d'emploi, elle lui demanderait sans doute. En attendant, elle ressassait le refus de l'apothicaire qu'elle était allée voir tout à l'heure. Elle raconta son entrevue à Ted, pendant qu'il se séchait. Elle sursauta légèrement quand le coup de poing de Ted retentit sur le mur. Ouvrir sa propre boutique ? Ce n'était pas facile non plus, et rien ne disait que les gens ne préféreraient pas aller chez l'homme plutôt que chez elle. C'était un pari risqué qu'elle ne pouvait se permettre pour le moment. Lola tapota doucement la main de Ted qui s'était posée sur son épaule.

« Merci, amigo. »

Non, elle n'allait pas baisser les bras, mais il était difficile pour le moment d'être de bonne humeur. Mais Theodore lui proposa de passer la soirée avec lui, ce qui lui rendit le sourire. Passer du temps avec son ami était l'une des meilleures choses qui pouvaient la dérider. Elle alla déposer le stetson du shérif sur sa tête avant qu'il ne s'en aille, quand Irina passa par là et remis en place l'écusson du shérif qui s'était détaché de son veston. Celle-ci voulut s'en aller rapidement mais Ted la retint et lui proposa de se joindre à eux pour la soirée. Ça ne dérangeait pas Lola, au contraire. Il fut décidé qu'ils mangeraient chez le shérif et que les filles iraient aux fourneaux, et la mexicaine en profita pour taquiner légèrement son ami sur ses capacités culinaires qui ne s'étaient pas améliorées. Elle rit à son tour à l'anecdote de Theodore. C'était quand ils jouaient ça !

« Ce n'est pas faux. Heureusement que t'en as pas mangé ! »

Cuisiner ne dérangeait pas Lola le moins du monde, de même qu'Irina. La mexicaine fut étonnée d'entendre que Ted savait que la petite brune cuisinait bien, c'était donc qu'elle lui avait déjà préparé quelque chose avant. C'était donc qu'ils devaient assez bien se connaître, cependant le shérif n'en avait jamais parlé à la mexicaine. Ce n'était pas comme si elle souhaitait tout savoir de sa vie, loin de là, elle était même contente de voir qu'ils s'entendaient bien, mais elle ne s'était pas attendue à cela. Quoiqu'il en soit, la décision fut prise pour qu'ils aillent dîner chez Ted et ce dernier put ensuite partir jouer au poker au saloon.

Les deux jeunes femmes retournèrent vaquer à leurs occupations. Lola devait prendre un dernier client avant de pouvoir partir, et il y avait tant de monde qui se protégeait de la pluie qu'elle n'eut pas de mal à attirer quelqu'un dans sa chambre, au contraire, on vint même la chercher. Quand elle eut enfin terminé son travail, elle put s'habiller convenablement et rejoindre Ted dans le saloon. Il était en train de jouer, aussi Lola ne le dérangea pas. Irina arriva à son tour, avec un verre d'alcool pour le shérif. Elle était donc déjà là avant que Lola n'arrive, ce qui signifiait qu'il n'y avait plus qu'à attendre que Ted termine sa partie de poker. Il but son verre et une fois la partie terminée, ils purent quitter le saloon.

« Moi de même. Ça ne fait pas de mal d'en sortir, et qu'on se voie en dehors. On a bien toutes une vie en dehors de nos chambres à coucher... »

Il pleuvait encore fortement dehors, ce qui signifiait qu'ils allaient devoir sprinter pour rejoindre le bureau du shérif, là où Ted habitait. Cela ne dérangeait pas tellement Lola de courir sous la pluie. Elle n'avait qu'à mettre son châle sur sa tête pour ne pas se mouiller, mais avant qu'elle ne puisse le faire, quelque chose lui couvrit les yeux : le stetson de Ted qu'il venait juste de poser sur sa tête. La jeune femme lui sourit.

« Gracías ! »

Nouant son châle sur ses épaules, posant une main sur le chapeau pour ne pas qu'il tombe et rebroussant un pan de sa robe, Lola s'élançant à la suite de Ted qui portait Irina dans ses bras. La mexicaine courrait vite, ayant été élevée dans une ferme, l'exercice, ça la connaissait. Elle arriva derrière Ted et Irina sous le porche de son bureau, ses cheveux avaient réchappé à la pluie, mais son châle était complètement trempé. Heureusement l'eau n'avait pas atteint son corsage. Elle détacha son triangle de tissu et l'essora, laissant Irina passer devant elle pour rentrer à l'intérieur. Elle ne tarda pas à les suivre à l'étage cependant, déposant au passage le chapeau de Theodore sur une patère au mur. L'homme avait allumé le poêle, qui répandait maintenant une chaleur agréable dans la pièce, ce qui était la bienvenue après la rincée qu'ils avaient pris.

« Ça fait du bien ! Fit la mexicaine en s'approcha du poêle pour profiter un peu plus de la chaleur. Puis se frottant les mains, elle se retourna vers Irina et Ted. Je ne dirais pas non à de la viande ! Du poulet, si tu en as. À moins que vous ne vouliez autre chose ! Quoiqu'il en soit, fit-elle en tapotant gentiment l'épaule d'Irina, on va faire de notre mieux ! Je crois que la bonne santé de notre shérif repose sur nous ! Vamos, Irina ! » termina-t-elle avec un sourire, retroussant ses manches.

Comme le disait si bien Lola, Ted ne serait jamais un client de la maison close. Il avait trop d’estime et de respect pour les femmes pour un jour payer l’une d’elle afin d’obtenir ses faveurs. Ce n’était pas qu’il se sentait au dessus de ça, il était un homme après tout, mais il ne voulait pas avoir à passer par là. Et surtout, jamais il ne toucherait Fran, ça c’était sûr et certain. Cependant, puisqu’il avait déjà couché avec Irina, devait-il considérer qu’il avait renié ses principes ? Cela s’était fait chez lui, il ne l’avait aucunement payée mais cela comptait-il quand même ? Il ne le regrettait pas, il en avait eu envie, mais il ne savait plus trop à quoi s’en tenir désormais. Lorsque Ted venait à la maison close, c’était toujours pour voir les filles ou passer un moment avec Fran. Ca, ça ne changerait jamais. Même lorsqu’il vit Irina, rien dans son comportement laissait présager qu’ils avaient pu partager un moment aussi intime. Il ne s’en cachait pas, se montrant même plutôt proche de la jeune femme, mais le reste, personne n’était au courant, pas même Fran. Theodore avait tendance à tout lui raconter, mais en ce qui concernait sa vie privée, c’était différent. Si elle n’avait pas été une prostituée, sans doute le lui aurait-il dit. Non pas qu’il avait honte de ça, loin de là, mais il ne désirait pas qu’Irina soit mal vue, d’une façon ou d’une autre.

Cependant, lorsqu’ils abordèrent le thème de la cuisine, Ted ne cacha pas le fait qu’Irina cuisinait pour lui. Cela avait dû intriguer Lola mais elle n’avait en tout cas fait aucun commentaire sur le sujet. Elle savait le shérif proche de toutes les prostituées et ne devait donc pas s’en étonner plus que ça. Il fallait dire qu’Irina avait une bonne raison de cuisiner pour lui. Après tout, ils vivaient ensemble et Ted n’était pas vraiment doué pour préparer un plat mangeable. Au moins, Irina était douée et elle cuisinait pour eux deux. Ted fournissait un toit, Irina lui rendait la vie plus agréable. C’était un bon échange de procédés.

Et puisque Ted appréciait les deux femmes qui lui tenaient actuellement compagnie, il ne voyait pas pourquoi ils ne pourraient pas manger tous les trois. A l’origine, Ted n’aurait dû manger qu’en compagnie de Lola mais puisqu’Irina vivait avec lui et qu’elle était présente, elle était tout à fait la bienvenue. Après tout, il avait pris déjà l’habitude de l’avoir dans sa vie. Cela aurait pu lui poser problème, lui donner trop de contraintes mais c’était en fait tout l’inverse. Irina avait le don de se rendre utile et puis, il devait avouer qu’il l’appréciait particulièrement.

En attendant que les deux femmes soient prêtes, Theodore s’installa au saloon pour jouer un peu au poker. Cela faisait longtemps qu’il n’avait pu prendre un peu de temps pour ça et il comptait bien en profiter. A vrai dire, il comptait surtout gagner. Il n’avait pas perdu la main, loin de là. Lorsqu’il jouait, il devenait complètement impassible et il était difficile de savoir lorsqu’il bluffait ou non. Et impossible de savoir s’il trichait ou non… Mais ça, bien peu de gens se seraient permis de traiter le shérif de tricheur, surtout sans preuve. Si Ted n’avait pas la gâchette facile –il était de toute façon capable de se tirer dans le pied plus qu’autre chose- il était plutôt prompt à se servir de sa dynamite, surtout si on le cherchait. Et la dynamite, ça ne pardonnait pas…

Irina fut la première à arriver. En fait, elle arriva quasiment juste après lui. Soit son dernier client avait été on ne peut plus rapide, soit elle ne s’était pas encombrée avec ça. Venant s’installer sur lui, elle affirmait être son porte-bonheur. Voilà qui ne déplaisait pas au shérif, bien qu’il fusilla les autres joueurs du regard lorsqu’ils posèrent les yeux sur Irina. Leur façon de la regarder n’avait rien de respectueux. Certains la regardaient d’un air dédaigneux, d’autres d’un air envieux, mais Irina ne semblait même pas y prêter attention. Theodore se reconcentra sur le jeu… jusqu’à ce que la main de la jeune femme se fasse baladeuse. Là, plus moyen pour le shérif de jouer correctement. Par chance, Irina ne tarda pas à se lever pour aller lui chercher un verre. Ted laissa échapper un léger soupir avant de se remettre dans la partie. Il devait gagner…

Fran arriva à son tour peu après et une fois le verre vidé, Theodore stoppa là sa participation. Les deux filles s’étaient décidées pour faire le repas chez lui plutôt que de se faire nourrir ailleurs. C’était presque comme si elles se battaient pour savoir qui allait cuisiner. Au moins, ce serait mangeable et même bon, pas comme si c’était le shérif qui avait fait la cuisine lui-même. C’était d’ailleurs sans doute pour ça qu’elles avaient refusé qu’il les aide… Mais ça, il ne pouvait leur en vouloir, surtout après la remarque de Fran sur le sujet.

La pluie tombant toujours dru, ils n’avaient d’autre choix que de courir jusqu’au bureau du shérif. Un passage obligé mais qui ne devrait pas être trop pénible si chacun se mettait à courir. Seul problème, les robes des filles étaient plutôt encombrantes. Theodore savait que Fran courait avec sans problème, l’ayant déjà vue faire à plusieurs reprises. Mais en ce qui concernait Irina, il n’en savait rien. Du coup, plutôt que d’élaborer une stratégie, il donna son chapeau en guise de protection à Lola et embarqua Irina sans même lui demander son avis. Elle eut le réflexe de s’accrocher à lui, ce qui facilita le transport. Une fois les pieds au sec, il la déposa au sol alors qu’elle le gratifiait d’un baiser sur la joue.

« Avec plaisir, miss, ravi d’être utile. »

Ted entra aussitôt pour se rendre à l’étage et mettre de quoi réchauffer l’intérieur. La pluie avait tendance à drôlement faire descendre les températures. Entre ça et l’humidité, il ne faisait vraiment pas chaud. Le poêle dévorant le bois à sa disposition, la chaleur commençait lentement à se faire sentir. Lola demanda alors ce qu’il avait à leur donner pour qu’elles commencent à préparer le repas. Ted énuméra ce qu’il lui restait, de tête, puis la hocha lorsqu’il se rappela qu’il avait un poulet tout juste plumé de la veille.

« Du poulet, j’en ai oui. Je te ramène ça tout de suite. »

Puisqu’il ne pouvait pas faire la cuisine, il pouvait au moins leur fournir ce dont elles avaient besoin. Se dirigeant au garde manger, il attrapa un beau poulet et le leur rapporta. Se sentant un peu de trop dans le coin cuisine, il se dirigea vers sa chambre, se débarrassant de son veston humide pour le déposer sur le dossier d’une chaise. Se délestant de son ceinturon, il constata que son chapeau avait atterrit sur l’une des patères. Au moins comme promis, Lola en avait pris soin. Retournant dans la pièce d’à côté, il sortit les couverts et mit la table, prenant un pichet vide pour le remplir de vin. Il ne restait plus qu’à manger. Par chance, le repas fut bientôt prêt puisqu’il y avait deux cuisinières au lieu d’une cette fois. Ted ne doutait pas qu’il mangerait bien ce soir. Irina ne tarda pas à déposer une assiette sous son nez, lui souhaitant bon appétit.

« Je ne vois pas comment je pourrais être déçu alors que deux bonnes cuisinières me font un bon repas. Bon appétit ! »

Cependant, il attendit que les deux femmes soient servies et assise avant de goûter enfin au plat. A peine eut-il avalé quelques bouchées qu’il dût se rendre à l’évidence : il avait réellement besoin d’apprendre à faire à manger. Ce qu’il mangeait d’ordinaire lorsqu’il se préparait lui-même à manger lui paraissait tellement fade… Irina savait combler son estomac mais là, elles avaient vraiment fait des merveilles. Mangeant avec appétit, il ne termina cependant pas son assiette, posant sa fourchette à côté avant de prendre la parole. Il était temps de leur dire ce à quoi il pensait. Mais tout d’abord, il devait expliquer certaines choses à Lola qui devait commencer à se poser des questions.

« Tu l’as sans doute peut-être compris mais Irina vit ici, avec moi. Sa maison a grand besoin de travaux et ce n’est pas très sûr. Du coup, je l’héberge en attendant. Elle a eu quelques problèmes et du coup je veille sur elle. Cependant, je ne peux pas être là tout le temps. C’est justement de ça dont je voulais vous parler. »

Theodore ne savait pas trop comment leur présenter la chose mais il ne voulait pas y aller par quatre chemins. Elles se connaissaient, en tout cas un minimum et il espérait que passer du temps ensemble ne leur poserait pas de problème. Ted aurait aimé être l’homme de la situation mais malheureusement c’était loin d’être le cas. Lola était la personne parfaite pour ça mais cela l’ennuyait de lui demander ce genre de choses. Il espérait qu’elle ne refuserait pas car il ne voyait pas à qui d’autre il pourrait demander un tel service.

« Voilà… Je… manque de temps. » C’était la vérité même s’il n’y avait pas que ça. Il ne pouvait avouer à Irina qu’il était incapable de tirer « Et du coup, comme tu es un bon professeur Lola, je me disais que… tu pourrais entrainer Irina au tir ? Je lui ai donné une arme mais c’est mieux lorsque l’on sait s’en servir. Comme vous vous connaissez déjà, ce serait plus pratique. C’est une bonne idée, non ? »

Si la journée s'était au final assez mal passée pour la mexicaine, la perspective de passer la soirée en compagnie de son amie remit un sourire sur son visage. Elle était toujours agréablement surprise de voir Ted passer à l'improviste à la maison close pour passer du temps avec elle, et cela lui faisait invariablement plaisir. Theodore, c'était l'ami avec qui elle pouvait parler de tout, et donc le seul à qui elle pouvait se confier. S'il n'était pas là, à vrai dire, elle ne sait pas tellement où elle serait aujourd'hui. Quand le shérif s'apprêta à descendre au saloon en attendant que son amie ait terminé de travailler, Irina fit son apparition et Ted en profita pour l'inviter également au dîner. Lola fut un peu surprise d'entendre que l'autre fille de joie cuisinait pour l'homme, mais elle ne releva pas. Peut-être qu'Irina s'était rapprochée davantage de Ted et que ce dernier ne lui en avait pas parlé, mais c'était son choix et Lola n'avait certainement rien à redire là-dessus. Son ami n'était pas obligé de lui raconter tous les détails de sa vie.

Une fois que la soirée fut programmée, Lola put retourner à son travail et le finir plus rapidement que prévu. Aujourd'hui, son travail l'excédait. Son échec de tout à l'heure la préoccupait fortement, et elle commençait à croire qu'elle passerait sa vie dans la maison close. Bel avenir tiens. Mais pour le moment, elle ravala sa colère, se rhabilla de manière décente et put enfin rejoindre Ted et Irina au saloon, où le shérif terminait sa partie de poker. Ils allaient pouvoir rejoindre son bureau, qui était aussi l'endroit où il vivait.

La pluie tombait encore dehors, et de manière violente. Il leur faudrait courir pour rejoindre le bâtiment voulu sans qu'ils ne se mouillent trop. Cela ne dérangeait pas la mexicaine, qui était habituée à courir dès son plus jeune âge. Toutefois, pour la protéger, Ted lui confia son stetson, pendant qu'il prenait Irina dans ses bras et l'emmena en courant jusqu'au bureau. Une main sur le chapeau pour ne pas qu'il s'envole, l'autre relevant un pan de sa jupe, Lola les suivit en courant, manquant de glisser dans la boue, mais elle arriva saine et sauves, ainsi que ses deux compères, sous le porche du bâtiment. Elle prit le temps d'essorer un peu ses vêtements tandis que le duo rentrait déjà et montait à l'étage supérieur.

Déposant le stetson sur la patère, elle prit le temps de se réchauffer un peu après du poêle qu'avait allumé Ted avant de demander ce sont disposait l'homme afin qu'elle et Irina puissent se mettre aux fourneaux. D'ailleurs, la jeune femme ne semblait pas vouloir entamer de conversation avec la mexicaine. Chose étrange, puisqu'à la maison close, Irina, même sans être forcément l'amie de toutes, s'entendaient assez bien avec les autres filles, Lola y compris. Mais la fille de joie ne chercha pas à savoir s'il y avait un problème. Peut-être qu'Irina n'avait juste rien à dire.

C'est donc dans le silence que se prépara le repas du soir, Francesca s'occupant du poulet que lui avait apporté Ted et Irina coupant des légumes et les faisant cuire. À deux, le repas fut prêt bien rapidement. La table étant déjà mise pas le shérif, il ne restait plus qu'à s'installer et à manger.

« ¡Que aproveche! » (Bon appétit !)

Une fois qu'elle se fut servie, ils commencèrent à manger tranquillement. Tout était bon, même les légumes qu'Irina avait préparé (bitch fight ♥). D'ailleurs, cette dernière consentit enfin à prendre la parole pour s'adresser à Lola. Tiens, ça y est, elle avait remarqué son existence ? La mexicaine prit le temps d'avaler une minuscule gorgée de vin – le seul alcool qu'elle supportait en petite quantité – et de reposer son verre avant de répondre avec le sourire à sa collègue de travail.

« Oh, rien d'extraordinaire. Ail et romarin. Plus c'est simple et meilleur c'est. Tes légumes sont très bons également. »

Cependant la conversation tourna bientôt de toute autre manière. Theodore dévoilait enfin ce qu'il avait derrière la tête. L'écoutant avec attention, Lola se contenta simplement de hocher à la tête aux explications qu'il lui donnait, concernant le fait qu'Irina habitait temporairement chez lui. C'était donc cela ! La jeune femme aurait du s'en douter. Mais que comptait-il donc leur proposer ? Allait-il demander à Lola de veiller sur Irina à sa place, par manque de temps ? Il en avait déjà si peu pour s'entraîner au tir !

C'était justement là le souci de Theodore. Le manque de temps... mais aussi sa faiblesse au tir. Une chose qu'Irina semblait ignorer totalement, et que Lola se garda bien de révéler à son tour. Elle seule connaissait les lacunes de son ami en la matière, et mieux valait que cela ne s'ébruite pas, en tout cas pas tant qu'il saurait se servir assez bien d'une arme à feu. Enfin, le shérif en vint au sujet : il demandait à la mexicaine d'apprendre à sa collègue les bases du tir, comme il lui avait déjà confié une arme mais sans qu'elle sache s'en servir. Ce n'était pas bien malin cependant mais Francesca ne dit rien. Elle haussa vaguement les épaules, un peu surprise cependant de la demande de son ami.

« Ma foi, je ne vois pas pourquoi je refuserais. Est-ce que tu as déjà quelques bases ou tu n'as jamais tenu une arme à feu de ta vie ? » demanda-t-elle en se tournant vers Irina. « Enfin, après c'est à toi de voir si tu veux que je t'enseigne ça ou si tu préfères que ce soit quelqu'un d'autre. Moi, ça ne me gêne pas. »

Irina pouvait très bien refuser. Qui savait si elle ne se méfiait pas, elle aussi, de l'étrangère ? Lola but de nouveau une gorgée de vin et sentit sa tête lui tourner violemment. Aïe aïe aïe... il valait mieux qu'elle arrête là l'alcool pour ce soir!

Theodore était content de pouvoir passer une soirée en compagnie de deux femmes qu’il aimait. De son point de vue, tout allait bien, tout le monde s’entendait à merveille. Il n’était absolument pas conscient de la légère tension qu’il y avait en cuisine puisqu’il s’était absenté chercher ce qu’on lui avait demandé. Il n’était pas là pour superviser ce qu’elles faisaient et de plus il leur faisait confiance. Aucune raison donc de douter du bon déroulement de la soirée. Cela lui faisait cependant tout drôle de voir deux femmes chez lui. Bien qu’il avait longtemps côtoyé Lola lorsqu’ils étaient plus jeunes, elle n’avait que rarement mis les pieds chez lui. Quant à Irina… elle vivait ici désormais, c’était chez elle. C’était plutôt curieux d’ailleurs. A bien y regarder, Ted et elle agissaient un peu comme un couple. Pourtant il n’en était rien. Cela lui procurait un sentiment des plus étranges mais pour l’heure, il ne s’attardait pas dessus.

Assis à table, il ne tarda pas à pouvoir déguster le délicieux repas qu’elles avaient préparé ensemble. La bouche pleine, Theodore pouvait constater à quel point il était mauvais lorsqu’il s’agissait de cuisiner. Là, il se régalait et ne manqua pas de le leur signaler. En fait, il se sentait un peu idiot de devoir dépendre de deux femmes pour pouvoir manger correctement. La plupart des gens pensaient ainsi :  les femmes étaient faites pour cuisiner. Ted devait admettre que cela avait du vrai, il ne pouvait le nier. Mais quelque chose le dérangeait dans cette vision des choses. En fait, il stoppa ses coups de fourchette, les observant un instant, songeur. Quelque part, il avait l’impression de les exploiter. Déjà que toute la journée, elles devaient céder aux avances de leurs clients, étant quelque part leurs esclaves… Et le soir, elles devaient à nouveau servir un homme. Ted se sentait un peu fautif bien qu’il ne leur avait en aucun cas demandé de cuisiner pour lui.

« Merci pour le repas les filles… Je vous en dois une. Peut-être qu’un jour vous pourrez m’apprendre à cuisiner, que je vous rende la pareille sans vous empoisonner. »

Tandis que les deux prostituées se complimentaient l’une l’autre, Ted poursuivit son repas. Il ne tarda pas à vider son assiette, repus. Les hommes avaient définitivement besoin d’une femme dans leur vie. Ted était chanceux, il en comptait plusieurs. Perdu dans ses pensées, il eut un léger pincement au cœur en repensant à certains évènements passés. S’attacher n’était pas toujours une bonne chose…

Reposant les yeux sur les deux femmes en sa compagnie, il se rappela alors qu’ils les avaient réunies pour une raison particulière. Irina avait besoin d’apprendre à se défendre. Ted lui avait déjà confié une arme à feu mais encore fallait-il qu’elle sache s’en servir à présent. Si elle était aussi doué que lui en tir, c’était même plus dangereux qu’autre chose. Mais Lola était là. Et Lola savait tirer… Puisque les deux femmes se connaissaient un minimum, le shérif supposa que s’entrainer ensemble ne les dérangerait pas. C’est donc tout naturellement qu’il leur proposa une relation professeur/élève. Lola n’avait pas l’air contre cette idée mais ne semblait pas non plus super enchantée. Il les laissa donc discuter, grimaçant lorsque Lola proposa de faire appel à quelqu’un d’autre. Il ne fallait pas qu’Irina le lui demande ! Il avait bien spécifié qu’il n’avait pas le temps mais cela ne dissuaderait pas forcément la jeune femme.

Irina semblait cependant réceptive à la proposition et accepta l’aide de Lola. Elle semblait surprise d’apprendre que cette dernière savait tirer. Tout le monde s’en étonnait la première fois… Ce n’était pas le genre de femme que l’on imaginait tenir une arme. Pourtant Lola était douée, Ted en savait quelque chose.

« Parfait ! Tu verras Irina, Lola tire très bien. C’est elle qui… »

Il s’interrompit à temps en réalisant qu’il allait se trahir tout seul. « C’est elle qui m’apprend à tirer. » allait-il dire… Irina ne devait en aucun cas savoir qu’il était incapable d’utiliser une armée à feu. Personne ne devait le savoir… Mais à présent il devait rattraper sa phrase. Rapidement, il la tourna autrement pour ne pas paraître suspect.

« C’est avec elle que je m’entrainais quand j’étais plus jeune et je t’assure qu’elle ne manque jamais sa cible ! »

Attrapant son verre de vin, il le but intégralement et resservit tout le monde. Irina se leva pour débarrasser et Ted la laissa faire. Il avait déjà voulu l’aider à le faire et elle avait toujours refusé. Inutile donc de relancer un débat qui finirait de toute façon de la même manière à chaque fois. Puisque Lola et Ted étaient seuls, il en profita pour lui parler un peu.

« Merci d’avoir accepté, tu me sauves la vie. Je te revaudrais ça, promis. »

Irina ne tarda pas à revenir, lui demandant si elle pouvait faire quelque chose pour lui. Ne se laissait-elle jamais de le servir ? Theodore était toujours un peu désemparé lorsqu’elle lui demandait ce genre de chose. Il ne voulait pas qu’elle agisse avec lui comme elle le ferait avec ses clients, docile et asservie. Le shérif l’observa un instant puis lui attrapa la main pour l’attirer vers lui, la faisant se pencher pour l’embrasser. Détachant ses lèvres des siennes, il lui offrit un sourire.

« C’est tout ce que tu peux faire pour moi. »

Il allait se servir un nouveau verre lorsqu’il fut surpris d’entendre Irina chasser Lola. Enfin elle ne la chassait pas directement mais c’était tout comme. Regardant vers la fenêtre, Ted constata qu’il pleuvait toujours et qu’il faisait nuit noire à présent. La soirée était bien avancée et Theodore devait admettre qu’il était fatigué mais il n’avait pas envie de mettre son amie dehors, surtout par un temps pareil. Levant les yeux vers cette dernière, il constata qu’elle avait une drôle de mine. Soudainement, il se rappela qu’elle ne tenait pas vraiment l’alcool. A combien de verres était-elle… ?

« Lola… Tu te sens bien ? Hmm bon… vu le temps qu’il fait, le mieux est que tu restes ici. Comme ça si tu ne te sens pas bien, je serais là pour veiller sur toi. Et puis ça évitera que tu sois trempée comme moi. »

Se levant, il se dirigea vers son amie et l’aida à se lever à son tour, l’entrainant vers son lit dans la pièce d’à côté. Il l’y déposa doucement et l’y installa pour qu’elle soit à son aise. Assis sur le bord du lit, il l’observa puis se pencha pour l’embrasser sur le front.

« Repose toi, ça ira mieux demain. Tu devrais vraiment arrêter de boire tu sais… » fit-il avec un léger sourire amusé

Se redressant, il rejoignit Irina. Il ne possédait qu’un lit, largement assez grand pour deux mais un peu étroit pour trois. Il ne comptait pas priver Irina de confort et se dévoua donc pour être celui qui dormirait sur le petit canapé qui ornait la pièce. Pas super confortable, un peu dur, mais c’était mieux que le plancher.

« Ca ne te dérange pas de dormir avec elle ? Rassure toi, je sais comment elle est lorsqu’elle boit trop, elle ne t’ennuiera pas. Généralement, elle dort comme une souche, tu ne verras même pas qu’elle est là. Je vais dormir sur le canapé. »

Aussi hostile était la ville et ses habitants pour elle, il y avait tout de même quelques endroits où Lola pouvait se sentir en sécurité. Le premier, bien sûr, était son tout petit appartement rempli de plantes, où il n'y avait qu'elle qui y vivait. Ted y avait mis quelques fois les pieds, mais plus rarement qu'à la maison close, où elle passait une grande partie de son temps. Sa chambre de travail n'était pas vraiment un de ces endroits familiers où elle se sentait bien, mis à part les moments où il n'y avait qu'elle et son ami qui y discutaient. Il y avait également un autre lieu comme cela, où elle se sentait bien : la vieille maison de son père à Bolson Creek où elle retournait parfois.

En toute logique, là où résidait une présence amie, aimée, familière, était un endroit où Francesca se sentait bien. Toutefois, ce soir, c'était différent. Bien qu'elle soit chez Theodore, son seul véritable ami, elle ne se sentait pas complètement à son aise ; parce qu'il y avait également Irina. Oh, bien sûr, elle n'était pas de ceux qui portaient sur la mexicaine un regard méprisant. Après tout, toutes les deux avaient le même métier et se côtoyaient donc, mais c'était sans plus. Elle n'était pas une amie à proprement parler. Mais ça n'était pas que ça. Ted ne lui avait pas dit qu'Irina avait pris une place bien plus importante dans sa vie à présent. Elle ne lui en voulait pas bien évidemment, mais elle se sentait prise un peu au dépourvu et ne pouvait donc pas discuter avec lui aussi librement que d'habitude. Mais elle faisait avec et se montrait agréable, comme d'habitude. Après tout, Irina était elle aussi plus ou moins sympathique.

Le repas fut délicieux, les deux femmes se complimentèrent l'une et l'autre. Et au moins, Ted bénéficiait d'un repas digne de ce nom. Finalement, c'était une bonne chose qu'Irina soit là pour lui faire à manger. Tant qu'elle n'empoisonnait pas son ami... justement, l'ami en question prit bientôt la parole, et Fran lui répondit avec un sourire.

« On n'allait pas te laisser mourir de faim ! Mais quelques leçons ne te feraient pas de mal, c'est certain... »

Une fois les assiettes vidées, chacun apprécia la sensation de satiété qui les satisfaisaient. Lola, elle, tournait doucement le vin dans son verre, regardant sa profonde couleur rouge. Elle aimait bien l'alcool, mais ne pouvait malheureusement pas en boire énormément, sous peine de tomber raide. Elle ne le supportait absolument pas. Mais quelques gorgées ne faisaient pas de mal... en avalant une justement, la chaleur ne tarda pas à monter à ses joues.

Puis Ted entra finalement dans le vif du sujet. Ainsi donc, Irina avait besoin d'un professeur de tir ? Lola comprenait mieux pourquoi le shérif avait fait appel à elle. Il n'était clairement pas un bon enseignant en la matière, et la mexicaine était la mieux placée pour le savoir. Un peu surprise, elle fut cependant d'accord pour donner des leçons à Irina, ça ne la dérangeait pas plus que ça. Mais si elle voulait faire appel à quelqu'un d'autre, elle le pouvait aussi, elle ne la forçait pas. Irina avoua qu'elle était étonnée de savoir qu'elle savait tirer. Lola eut un sourire neutre. Forcément, on savait bien peu de choses sur elle à Tumbleweed... Ted était sans nul doute celui qui la connaissait le mieux, et encore, elle dissimulait bien d'autres secrets...

Ted fut heureux d'entendre que l'arrangement était scellé. Emporté dans son élan, il faillit dire quelque chose, mais s'interrompit et révéla que lui et Lola s'entraînaient ensemble quand ils étaient plus jeunes. Il n'en fallut pas plus à Lola pour comprendre de quoi il en retournait : Irina ignorait sans aucun doute la faiblesse dont Ted faisait preuve au tir, et c'était donc quelque chose qu'il fallait garder secret, même pour cette femme qui partageait maintenant la vie de son ami. Ted pouvait être tranquille, Francesca ne dirait rien. Il le savait de toute manière, qu'il pouvait lui faire confiance. Irina débarrassa ensuite l'intégralité de la table et s'éloigna dans la cuisine, laissant les deux amis seuls. Parfait, maintenant ils pouvaient discuter plus librement. Lola eut un sourire pour son ami.

« Il n'y a pas de quoi, amigo. Je ne m'attendais pas à ça par contre. Cela fait longtemps que vous êtes ensemble ? »

Lola était un peu curieuse, et pour elle, ils étaient en quelque sorte déjà en couple, en tout cas c'est ce que ses paroles laissaient entendre, mais elle se trompait. Néanmoins, elle était contente pour son ami, qui de ce fait se retrouvait moins seul ici.

La mexicaine avala encore une longue rasade de vin rouge... trop longue rasade. Sa tête se mit à lui tourner un peu trop violemment, et elle se rapprocha de la table pour s'y tenir. Elle reposa le verre un peu maladroitement, et il tourna sur son pied avant de se stabiliser complètement dans un tintement clair. Il ne fallait plus qu'elle avale une gorgée de ce breuvage, ou elle allait tomber inconsciente. Quelle idiote, elle savait pourtant qu'elle ne devait pas boire, mais elle ne pouvait pas refuser d'en ingurgiter ne serait-ce qu'un peu. Et bien trop souvent, ce « peu », c'était déjà trop. Focalisée sur sa soudaine souffrance, elle ne prêta pas attention aux paroles d'Irina, les entendant à moitié.

« ¿ Qué estás diciendo ? »

Comme souvent, maintenant qu'elle était pompette, elle parlait en espagnol. Mais ça n'avait pas d'importance, elle ne disait rien en particulier. La voix de Ted lui semblait presque lointaine alors qu'il se trouvait à côté d'elle. Elle entendit seulement le mot « rester ». Sans vraiment opposer de résistance, elle se leva et suivit Theodore du mieux qu'elle put, essayant de ne pas vaciller ni de tomber sur son ami. Bientôt, elle se rassit un nouveau, sur ce qui semblait être le lit de Ted. Une pression amicale sur son front, des paroles teintées de taquinerie mais dites sur un ton rassurant... Fran hocha doucement la tête, discernant son ami en face d'elle.

« Sé... gracias, Ted. Gracias... »

Que ferait-elle sans son ami ? Elle avait beaucoup de chance de pouvoir compter sur lui quand ça n'allait pas. Retirant ses bottines sans beaucoup de ménagement, Lola s'allongea sur le lit. Sa tête était en plomb, ses tempes cognaient douloureusement. Il était dommage qu'elle n'ait pas sur elle un de ses remèdes contre les maux de tête, car le lendemain matin ne serait pas moins douloureux. Elle sombra bientôt dans le sommeil, ne pensant plus à la situation ni à tout ce qui s'était passé. Dans le néant, l'on pouvait même oublier qui on était. La mexicaine profita donc de ce long sommeil sans rêves, et ne se réveilla pas au cours de la nuit. C'est les premiers rayons de l'aube qui la tirèrent des ténèbres...

Theodore aimait bien manger et il n’était pas des plus compliqués. Lorsqu’il était encore un hors-la-loi, il était souvent en vadrouille ou en déplacement. Il était rare qu’il s’attarde à un endroit. Etre sédentaire était le meilleur moyen de se faire chopper et il avait donc pris l’habitude d’être toujours nomade. Du coup pour cuisiner, c’était compliqué. Impossible de trimbaler tout un stock de nourriture et il ne fallait pas parler des ustensiles qui allaient avec… Il se contentait donc du minimum, du plus simple. De la viande séchée ou cuite, fraichement chassée lui suffisait. Faire revenir quelques pommes de terre dans une vieille marmite trouvée là aussi, suffisait. Il était rare qu’il s’encombre de davantage. Ainsi, il n’avait jamais pris le temps d’apprendre à cuisiner. Et ce n’était pas maintenant qu’il était shérif qu’il allait trouver le temps pour le faire. De plus, Irina cuisinait pour lui tous les jours, ce qui lui facilitait la tâche. Cette fois il avait eu la chance d’avoir deux bonnes cuisinières et à vrai dire, même s’il avait clairement besoin de cours, il n’était pas très motivé pour autant.

« Sans doute… Mais Irina cuisine très bien et je ne voudrais pas me priver bêtement de ses bons petits plats. »

Et il aurait été dommage que cette dernière se prive des cours que pouvait lui apprendre Lola. Par chance, toutes deux acceptèrent l’arrangement, ce qui soulageait Theodore. Ainsi, il n’avait pas à dévoiler qu’il était nul en terme de tir et ainsi, cela lui laissait plus de temps pour son travail. Entre deux clients, les deux femmes parleraient peut-être armes à feu, qui sait ?

Pour l’heure, Irina débarrassa et s’absenta le temps d’aller faire la vaisselle, laissant Lola et Ted seuls. Theodore sirotait lentement son verre de vin, savourant le fait que bientôt, il pourrait se reposer. La journée avait été longue et il avait hâte de pouvoir se mettre dans les draps pour pouvoir dormir un peu. Fran profita de l’absence d’Irina pour parler d’elle. A vrai dire, elle les qualifia aussitôt de couple, ce qui eut pour effet pour Ted d’avaler de travers. Il se mit à tousser et lorsqu’il put respirer à nouveau normalement, il répondit enfin, un peu abasourdi par ce qu’elle venait de dire.

« Que… Hein ?? Mais on est pas ensemble, qu’est-ce que tu racontes bon sang ? Je te l’ai dit, je l’héberge… Ca ne fait pas de nous un couple. Mais si tu veux tout savoir, ça fait quelques semaines maintenant. Je ne t’en ai pas parlé parce que ça m’est un peu sorti de la tête, je dois l’admettre. Tu n’es pas déçue qu’elle soit là au moins ? »

Theodore se demandait bien pourquoi son amie pensait une telle chose. Parce qu’ils vivaient ensemble ? Maintenant qu’il y repensait mieux, ils étaient assez proches et affectueux l’un envers l’autre. Ted devait également admettre qu’elle ne le laissait pas indifférent. Mais malgré tout, ils n’étaient pas ensemble comme elle le disait si bien. Si tel était le cas, croyait-elle réellement qu’il la laisserait continuer d’écarter les cuisses devant le premier venu ? Jamais de la vie. Il lui aurait trouvé un autre travail mais en tout cas, sa carrière de prostituée aurait vite tournée cours. Ted remarqua que Lola buvait à nouveau une gorgée. C’était sans doute le vin qui lui montait à la tête et qui la faisait poser cette question étrange. Pourtant, elle savait qu’elle ne tenait pas l’alcool. Mais cette petite soirée entre amis l’avait sans doute détendu et elle n’avait pas imaginé qu’il pourrait y avoir des conséquences.

Irina ne tarda pas à revenir, se préoccupant uniquement de Theodore. Ce dernier la cala sur ses genoux avant de s’occuper d’elle. Elle n’avait pas l’air de vouloir que Lola reste ici cette nuit. Pourtant Ted savait qu’elle serait incapable de se rendre seule jusqu’à chez elle. Mieux valait qu’elle reste ici pour la nuit, au chaud et accompagnée au cas où elle se sentait mal. Le shérif l’avait déjà vu ivre et il savait comment elle fonctionnait. Le réveil allait être difficile le lendemain…

Il l’aida donc à rejoindre le lit pour qu’elle s’y allonge et se repose. Il savait qu’elle allait faire sa nuit là mais ça ne lui posait pas de problème d’occuper le canapé. Persuadé que cela ne dérangerait pas Irina de dormir avec elle, il ne se préoccupa pas de ce détail mais lui demanda tout de même son avis, au cas où, par politesse. Irina lui assurait que cela ne la dérangeait pas et qu’il était bon d’ainsi s’occuper de la jeune femme. Pour lui, il n’y avait rien de plus normal. Il n’était pas du genre à laisser ses amis sur la touche.

« Elle est comme ma sœur. Je ne serais pas un bon ami si je la laissais tomber à la première occasion. Elle s’occupe toujours de moi alors si je peux lui rendre la pareille, je n’hésite pas. »

Il répondit au baiser qu’elle lui donna puis retourna à la cuisine boire un verre d’eau. Tout ce vin lui avait étrangement donné soif. Et puis un peu d’eau aiderait à faire passer tout ça. Seul inconvénient, cela donnait légèrement envie d’uriner à force d’ingurgiter autant de liquide. Ted s’éclipsa dehors pour soulager sa vessie puis remonter à l’étage pour aller dans la cuisine. Là, il remplit un nouveau verre d’eau et retourna dans la chambre. Il déposa le verre au pied du lit, du côté où dormait Lola. Ainsi, au réveil elle aurait de quoi se réhydrater le gosier.
Ouvrant une armoire, il en sortit une couverture supplémentaire pour lui-même afin de ne pas avoir trop froid cette nuit. Alors qu’il déposait la couverture sur le canapé, il vit Irina venir vers lui. Elle ne portait qu’une chemise qui masquait le principal… bien que le décolleté était de mise. D’ailleurs, le shérif loucha dessus avant de difficilement remonter les yeux vers les siens. Elle disait lui avoir emprunté l’une de ses chemises en guise de chemise de nuit.

« Euh… non non il n’y a pas de problème, tu peux la garder. On cherchera ton vêtement demain. Passe une bonne nuit Irina. »

Irina alla s’allonger sur le lit et Theodore commença à se dévêtir. Retirant ses bottes, il se débarrassa ensuite de son veston et de sa chemise qu’il déposa sur une chaise et ne conserva que son pantalon pour dormir. Il s’allongea sur le canapé, laissant la couverture à ses pieds pour le moment. Le vin lui donnait chaud et il n’utiliserait probablement la couverture que lorsque l’effet de l’alcool commencerait à se dissiper. Il ne tarda pas à s’endormir rapidement malgré le manque de confort de son lit de fortune.

Cependant, il n’eut pas vraiment le temps de dormir plus que ça car il fut bientôt réveillé par une douce sensation. Pas vraiment brusquement, il ouvrit donc les yeux et fit face à Irina. Que faisait-elle là ? Elle s’excusa alors de l’avoir réveillé et lui demanda si elle pouvait passer la nuit avec lui. Visiblement, Lola avait le sommeil trop agité pour elle et elle préférait partager les draps du shérif. Ted n’était pas certain qu’elle trouve l’endroit très confortable mais il n’eut pas le temps de protester. Ou plutôt, les caresses d’Irina coupèrent court à toute forme de protestation.

Encore un peu dans le gaz, il ne répondit pas à son baiser mais l’apprécia. Il apprécia d’autant plus ceux dans son cou. Elle ne faisait pas que le réveiller, elle éveillait également en lui un certain désir. Alors qu’elle se plaçait au dessus de lui, il répondit cette fois à ce baiser passionné. Cette fois, il était parfaitement réveillé et conscient de ce qu’il faisait. Irina lui faisait clairement savoir qu’elle avait envie de lui. Pas besoin de mots pour ça. Rapidement, il se retrouva nu, séparé de son pantalon. Ted glissa ses mains sous la chemise qu’elle portait, caressant sa poitrine avidement.

Bien que son envie parlait pour lui et le faisait agir, il se rappela qu’ils n’étaient pas seuls. Fran était là. Bien qu’elle dormait et ne risquait pas de se réveiller, Ted ne voulait pas aller plus loin avec Irina ici, dans cette pièce. Par respect pour son amie, il préférait mettre une barrière entre eux et elle. Theodore se redressa alors et attrapa Irina dans ses bras, la soulevant du sol. Il se déplaça jusqu’à la cuisine, refermant la porte du pied, avant de déposer la jeune femme sur la table. Puisqu’il n’avait pas d’autre lit, il allait improviser. Ted aimait bien le changement, surtout pour ce genre de choses. A quoi bon s’en tenir à un lit après tout ?

Cette fois, c’est lui qui entama les caresses et les baisers. Parcourant rapidement sa peau, il ne tarda pas à prendre possession du corps de sa partenaire, lui faisant l’amour comme si c’était la première fois. Il ne réfléchissait même pas de savoir si c’était confortable pour elle ou non, il laissait juste libre cours à ses envies. D’ailleurs il ne tarda pas à se séparer d’elle pour la faire se retourner afin de reprendre de plus belle, plus passionnément encore. Collé contre son dos, il lui embrassait les épaules avant de se redresser, caressant son dos et ses flancs. Toute trace de fatigue s’était envolée lorsqu’ils avaient commencés leurs ébats mais à présent qu’ils avaient cessés, Ted sentait qu’il avait franchement besoin de repos.

Attrapant Irina dans ses bras, il la serra contre lui un long moment, là, debout, dans la cuisine. Sentant ses jambes le trahir, il ne tarda pas à retourner dans la chambre en sa compagnie. Il s’installa sur le canapé puis ouvrit les bras pour qu’Irina vienne s’installer sur lui. Le canapé n’était pas très grand mais ainsi, ils pourraient dormir un minimum confortablement. Lorsqu’elle fut installée, il attrapa la couverture et la déposa sur eux. Il ne pensa pas à se revêtir à cause de Fran et de son réveil le lendemain. Embrassant une dernière fois Irina, il reposa la tête sur un coussin, poussant un léger soupir.

« Bonne nuit Irina… »

Peu après, il s’endormait, épuisé. La nuit risquait d’être longue pour lui. Il ne serait assurément pas le premier à se lever cette fois…

La vie était remplie d'imprévus. Lola avait pensé plus tôt dans la soirée passer une fin de journée banale, un peu maussade même vu ce qu'elle avait vécu en cours d'après-midi. Mais la visite impromptue de Theodore avait tout changé, illuminant le reste de sa soirée. Elle avait même appris d'autres choses un peu déconcertantes, comme le fait qu'Irina, une de ses collègues de la maison close, vivait momentanément avec le shérif de Tumbleweed et partageait manifestement bien plus avec lui qu'un simple toit où dormir. Comment aurait-elle pu prévoir qu'elle allait préparer le dîner pour son ami en compagnie d'une de ses camarades ? Au moins, cette dernière cuisinait à merveille, ce qui supprimait du même coup la probabilité que le shérif meurt de faim, vu son incapacité à cuisiner correctement.

« Ce serait bête de ta part, amigo. »

Puis une nouvelle surprise arriva : Ted venait de proposer à Lola de prendre Irina comme élève pour lui apprendre à tirer correctement. Un peu surprise, la mexicaine accepta néanmoins. Pourquoi aurait-elle refusé ? Il en serait allé autrement s'il s'était avéré qu'Irina la détestait, mais ça n'était pas le cas, alors l'arrangement était conclu.

Irina débarrassa la table et s'éclipsa bientôt en cuisine, laissant Ted et Lola tout seuls. C'était le moment de discuter tranquillement avec le shérif, et Lola ne s'en priva donc pas. En fait, elle voulait mettre quelques détails au clair. Theodore lui avait dit qu'il hébergeait Irina quelques temps, mais il était clair que cela allait plus loin que cela, du moins de l'avis de la mexicaine. Du coup, elle parla d'eux comme s'ils étaient en couple, et la réaction de l'homme ne se fit pas attendre. Il avala de travers sa gorgée de vin, et Fran lui tapa doucement dans le dos pour faire passer sa quinte de toux. Visiblement, elle se trompait lourdement sur leur compte.

« Respire ! J'ai bien compris que tu l'hébergeais... mais à la manière dont vous vous comportez, ça laisse entendre qu'il y a plus que ça. Vous êtes très affectueux l'un envers l'autre. Parler de couple, c'est peut-être un peu trop... mais tu me connais, dès qu'il y a des embrassades je pense à ça. Au moins tu éclaires ma lanterne ! Et non, je ne suis pas déçue, pourquoi ça ? J'ai été un peu prise au dépourvu, mais au moins avec toi elle est en sécurité. »

Oui, parler de couple était vraiment prématuré, mais cela relevait des représentations que Lola avaient concernant cela. Elle ignorait les pratiques des autres filles de joie, mais la concernant, elle n'embrassait jamais aucun client, pour la simple raison que les baisers étaient – pour elle – la preuve qu'il existait un lien bien plus fort entre deux personnes. Sur ce coup-là elle s'était un peu emportée, elle devait l'avouer. Et puis s'ils avaient vraiment été ensemble, nul doute qu'Irina aurait déjà quitté la maison close... oui vraiment, elle était allée trop vite, mais maintenant elle y voyait bien plus clair... et en même temps de plus en plus trouble, mais ça c'était la faute à l'alcool. Pourtant, elle en avait encore bien envie...

Mais cela tourna vite court. L'esprit embrumé par l'alcool, Lola se vit obligée de poser son verre encore à moitié plein et de se tenir la tête dans les mains. Elle était assise, mais elle ressentait déjà les vertiges liés à l'ivresse. Foutue faiblesse ! Déja, elle ne baragouinait plus que des propos en espagnol, soit totalement incompréhensibles à ses deux compagnons. Elle ne se rendit même pas compte qu'Irina tentait de la mettre dehors, tant elle se sentait vertigineuse. Heureusement, Ted, connaissant le problème, fit rapidement le lien entre l'état de son amie et le verre de vin rouge. Rapidement, il agit et accompagna Lola qui avait du mal à tenir debout jusqu'à sa chambre où il l'aida à s'asseoir et l'enjoignit à s'endormir rapidement. Comprenant à moitié la situation, la mexicaine remercia son ami, se mit tant que possible à son aise et s'allongea pour plonger rapidement dans le sommeil.

***

Lola aurait juré qu'on lui tapait sur le crâne avec un marteau. C'est en tout cas la sensation qu'elle avait en ouvrant difficilement les yeux le lendemain, surtout que les rayons du soleil tombaient en plein sur son visage. La gueule de bois c'était vraiment très, très désagréable. Avec le plus de précautions possibles, la mexicaine se redressa et s'assit au bord du lit, gardant les yeux fermés, luttant contre les vertiges. Elle avait la bouche pâteuse et la tête comme une enclume, sur laquelle le forgeron s'en donnerait à cœur joie.

Elle ouvrit doucement les yeux et redressa la tête, se rappelant où elle se trouvait, soit dans la chambre de Theodore. Ce dernier était allongé sur le canapé... en compagnie d'Irina, et une simple couverture les recouvrait. Passé le moment de surprise, Lola se dit qu'elle ferait mieux de sortir de la pièce. Elle se leva donc et ne prit pas la peine de remettre ses bottines, se dirigeant dans les autres pièces du bâtiment et refermant la porte derrière elle.

Du café... voilà ce qui lui faudrait. Se dirigeant vers la cuisine, elle chercha un petit moment la cafetière ainsi que la poudre, mais cela était surtout à son état... elle devait faire pitié à voir. Quand elle arriva finalement à remplir l'ustensile d'eau et de café, elle la posa sur le poêle et mouilla un coin de son châle avant de se le passer sur le visage, histoire de se réveiller un peu. Regardant par la fenêtre, elle constata que la pluie avait cessé, mais que la rue principale de Tumbleweed ressemblait maintenant à un énorme flaque de boue... Quand le café fut prêt, elle s'en versa une tasse ; il en restait bien assez pour le duo qui dormait encore si jamais ils en voulaient. Puis, s'adossant au mur, la tasse dans les mains et la vapeur du café montant vers son visage encore endormi, Lola se promit une fois encore de ne plus jamais toucher à un verre de vin... elle était loin d'être alcoolique, mais qu'elle se mette dans des états pareils parce qu'elle avait bu une seule gorgée de trop l'énervait énormément.

Spoiler:

Theodore connaissait Fran depuis longtemps. Il était d’ailleurs le seul dans la ville à connaître son véritable prénom. Ils avaient partagé beaucoup de choses par le passé, avant qu’ils ne soient séparés, mais à leurs retrouvailles, rien n’avait changé. Ils avaient toujours la même complicité et savaient comment l’un l’autre fonctionnait. Cependant, pas une seule seconde le shérif n’aurait pu anticiper les mots qui sortirent de la bouche de Lola. Il manqua même de s’étouffer avec sa boisson. Fran n’en avait-elle pas d’ailleurs abusé pour demander une telle chose ?

Maintenant qu’il y réfléchissait, il réalisait que non. Les propos de Fran étaient logiques lorsque l’on regardait la situation en face. Theodore faisait preuve de tendresse et d’affection envers Irina, c’était indéniable. Quelle autre femme embrassait-il de la sorte ? A vrai dire, à part elle, il n’en touchait aucune autre. Ted n’était pas spécialement fan de coucher avec des femmes, juste comme ça. Irina était une prostituée mais il ne la voyait pas ainsi malgré tout. A ses yeux, elle était spéciale…

« Non… tu as peut-être raison, je ne sais pas… Je n’y avais juste pas pensé en fait… J’adore cette femme, elle fait beaucoup pour moi… Mais elle n’est pas mienne… sinon elle aurait quitté la maison close depuis belle lurette. Peut-être que je devrais lui proposer mais… je ne sais pas. Et si je te demandais si ça ne te gênait pas, c’était parce qu’à l’origine, ça aurait dû être un repas juste toi et moi, comme à l’ancienne. Mais bon, ça vous a permis de faire peut-être un peu plus ample connaissance. Parce que tu risques fort de la revoir si tu reviens ici à l’avenir. »

En fait, sans le vouloir, Lola venait d’éclairer sa lanterne. Peut-être qu’il tenait plus à Irina qu’il ne voulait l’admettre. Aucune femme n’avait trouvé grâce à ses yeux depuis Sélèna. Son souvenir le hantait encore mais il ne pouvait faire revenir les morts à la vie. Alors pourquoi continuer de vivre dans le passé ? Sa vie était ici à présent et il n’allait pas continuer à se priver sans raisons. Peut-être qu’il faudrait qu’il réfléchisse un peu mieux à la situation… seul. Pour l’heure, il était loin de l’être et il ne voulait pas gâcher la soirée.

Tout se déroula pour le mieux, mais Fran avait malheureusement un peu trop bu. Plutôt que de la ramener chez elle, Ted opta pour la faire dormir chez lui. Il avait toujours pris soin d’elle et les choses n’allaient pas changer, avec ou sans Irina. D’ailleurs Theodore ne comprenait pas très bien pourquoi la jeune femme faisait preuve d’autant de fermeté à son égard. Avec lui, elle était adorable mais vis-à-vis de Lola, il semblait y avoir comme un froid. A moins que ce ne soit son imagination… ?

Lola occupait le lit avec Irina et Ted s’installa donc sur le canapé. Il pensait y passer toute la nuit mais il était loin du compte. Il n’était pas couché depuis longtemps lorsqu’Irina le rejoignit. Elle lui demandait si elle pouvait dormir avec lui mais quelque chose lui disait qu’elle ne voulait pas que ça. Ses caresses et ses baisers trahissaient clairement une toute autre envie. Il n’en fallut pas plus pour éveiller la même envie chez Ted qui entraina alors Irina à la cuisine afin de s’isoler.

Cette femme le rendait fou. Elle savait comment faire pour qu’il meurt d’envie d’elle. Ainsi, il se montrait toujours passionné et fougueux envers elle. Néanmoins, il restait toujours doux et affectueux, ne la traitant pas comme une vulgaire prostituée. Dans ses gestes, il savait le lui faire comprendre, son corps parlait à sa place. Même une fois leurs ébats terminés, il prenait toujours soin de la câliner, de la serrer contre lui. Il appréciait de sentir son corps contre le sien. Irina se mit à rire légèrement, ce qui l’intrigua. Il baissa alors les yeux vers elle, écoutant ce qu’elle avait à lui dire.

Ce qu’elle lui avoua alors sonnait presque comme une déclaration. Elle disait qu’il la rendait heureuse, qu’il savait comment la satisfaire. C’était un discours des plus étranges venant de quelqu’un qui écartait les jambes toute la journée. Mais cela n’avait que plus d’impact encore. Cela signifiait qu’elle ne le voyait pas comme les autres hommes. Pour preuve, jamais il ne la payait, leur relation étant bien différente.

« Rendre une femme heureuse, je m’en fiche. C’est toi que je veux rendre heureuse… »

Il la serra un peu plus contre lui, n’osant rien dire d’autre. Il fallait qu’il repense à tout ceci mais là… ce n’était pas le moment. Les deux amant retournèrent donc à la chambre pour se coucher. Irina occupa le canapé avec lui et ils passèrent la nuit ainsi, l’un sur l’autre. Sur le moment, Ted ne pensa pas à ce que pourrait s’imaginer Lola le lendemain si elle se réveillait avant eux. Bah… de toute façon, vu son discours, elle devait bien se douter qu’ils couchaient ensemble. Cela dit, elle serait sans doute surprise de voir qu’il touchait à l’une des filles, chose qu’il ne faisait habituellement jamais.

Epuisé, Theodore ferma les yeux et s’endormit après avoir souhaité une bonne nuit à Irina. La nuit fut longue et ininterrompue pour lui. Même lorsque Fran puis Irina se levèrent, il ne bougea pas d’un pouce. Rien ne le réveilla. Il dormit encore un petit moment, n’émergeant que lorsqu’un fin rayon de soleil vint se poser furtivement au niveau de ses yeux. Il se réveilla alors en marmonnant, souhaitant encore dormir un peu. Lorsqu’il se retourna, il constata alors qu’il lui manquait quelque chose. Irina n’était plus là. Tournant la tête, il constata que Lola non plus. Elles devaient déjà être levées… Quelle heure était-il ?

Lentement, il se leva. Il avait dormi comme un loir mais avait du mal à se réveiller complètement. Remarquant qu’il était nu, il se rendit à son armoire afin de s’habiller, enfilant sous vêtement et pantalon. Bien que les deux femmes l’avaient vu nu à plusieurs reprises et qu’il était chez lui, ce n’était pas une raison pour ne pas bien se tenir. Il se rinça le visage avec de l’eau froide histoire de se réveiller puis attrapa une chemise qu’il enfila sans pour autant la boutonner. Il ne commença à le faire qu’une fois dans la cuisine. Les deux femmes se trouvaient là, discutant comme si tout allait bien.

« Bonjour les filles… Bien dormi ? Comment tu te sens Lola ? »

Il s’avança vers elle, embrassant Fran sur la joue et Irina sur les lèvres. Une délicieuse odeur provenait des fourneaux. Irina cuisinait et cela ouvrait l’appétit de Theodore. Après l’activité physique de la veille, il avait bien besoin de manger. S’asseyant à table, il attendit d’être servi pour commencer à manger. C’était délicieux, comme d’habitude. Alors qu’il mangeait, il jeta un œil à l’horloge. 10 heures passées… Déjà ! Theodore avala alors le contenu de son assiette à la vitesse de la lumière, terminant ensuite de s’habiller avant d’aller chercher son ceinturon. Il était en retard. Il aurait déjà dû être sur place, accompagnant le fermier de la veille à qui il avait promis qu’il reviendrait.

« Désolé je suis en retard, on m’attend !! Faites comme chez vous, prenez soin de vous et merci pour le repas ! Je vous aime ! »

Descendant les escaliers en catastrophe, il se dépêcha de préparer son cheval et partit dès qu’il fut prêt. Peut-être qu’il valait mieux qu’il évite de cumuler alcool et sexe le même soir… Cela le faisait trop dormir. Au moins, il partait tout en sachant que tout se passerait bien, que l’entente semblait être faite entre les deux prostituées. Bientôt, Irina saurait se défendre et Theodore craindrait moins qu’il lui arrive quelque chose. Tout allait pour le mieux…

Theodore semblait vraiment surpris des propos de son amie, laquelle ne pensait pourtant pas avoir dit d'énormités. Elle n'avait certes pas oublié les paroles que le shérif lui avait dites un peu plus tôt, à savoir qu'il ne faisait qu'héberger Irina pour un temps donné... mais c'était ignorer complètement l'attitude de tendresse qu'il avait avec elle. Peut-être que la mexicaine y était allée un peu fort, mais Ted de son côté n'avait pas tout dit ou ne s'était pas rendu compte de l'exactitude de la situation. Quoiqu'il en soit, les propos de Lola, aussi énormes avaient-ils été, devait avoir provoqué une tempête sous le crâne du shérif, puisqu'il admit qu'il aimait beaucoup Irina.

« Tant que ça a pu t'éclairer un peu. Qui sait, peut-être qu'elle partira vraiment si les choses évoluent bien entre vous. Ça a l'air déjà bien parti. Et ne t'en fais pas surtout, ça ne m'a pas dérangée. Et puis, elle est sympathique, ça n'a en rien gâché la soirée. » conclut-elle en souriant.

En revanche, la soirée, elle se la gâchait toute seule, la petite Lola. Plus elle buvait et plus elle avait envie de boire et plus mal elle se sentait. La mexicaine ne tenait absolument pas l'alcool. Un verre de vin pouvait encore passer, mais les alcools forts comme le whisky, elle pouvait oublier. Pour ce soir, elle devait en être à son troisième verre. Mais la gorgée qu'elle avala fut celle de trop. Sa tête se mit à lui tourner, si bien qu'elle ne put plus suivre la conversation ni même prononcer un seul mot d'anglais. Comme toujours quand elle était pompette, elle parlait exclusivement espagnol, si bien que... on ne la comprenait plus du tout.

Heureusement, pas besoin de mots pour que Ted comprenne dans quel état s'était mise son amie. Prévenant, plutôt que de la ramener chez elle, il l'emmena dans sa chambre et l'aida à se coucher. À moitié dans les vapes, Lola n'avait qu'à demi conscience de ce qui l'entourait, mais en percevait suffisamment pour comprendre que Theodore l'aidait, et le remercia en conséquence – et en espagnol... mais il dut le comprendre tout de même. Confortablement allongée, Lola s'abandonna au sommeil lourd et profond que causait l'alcool.

Elle fut la première à se réveiller le lendemain. Encore vaseuse, elle réussit néanmoins à se diriger vers la cuisine, sans réveiller le couple qui dormait dans le canapé – elle devait quand même avoir tapé juste – et sans remarquer non plus le verre d'eau que Ted lui avait laissé à son intention. En fait, il lui fallait quelque chose de bien plus fort pour la réveiller complètement... elle prépara du café pour tous les trois, et sirota doucement la tasse qu'elle s'était versée, profitant de la chaude vapeur qui s'en élevait.

Irina fut la deuxième à arriver dans la cuisine, visiblement d'excellente humeur, puisqu'elle prit des nouvelles de la mexicaine et lui proposait de rester pour le petit déjeuner. Lola la salua à son tour avec le sourire.

« Bonjour Irina, j'ai assez bien dormi, et toi ? Je déjeunerais avec vous, avec plaisir. »

Avant qu'elle n'ait pu faire le moindre geste, Irina s'était déjà mise aux fourneaux, et bientôt flotta dans la pièce, mêlée à l'odeur du café, celle des œufs et de la viande cuite. Un arôme qui mettait l'eau à la bouche... et sembla d'ailleurs appâter Theodore qui apparut bientôt dans l'encadrement de la porte, terminant de s'habiller.

« Olà, Ted. Je vais bien, merci pour ton aide hier soir. Tu as l'air en forme. » fit-elle en lui rendant son salut.

Bientôt il fut temps de se mettre à table. Lola picora plus qu'elle ne mangea, se sentant encore bien trop vaseuse pour remplir son estomac avec de la nourriture riche. En revanche, cela ne dérangea pas Ted qui engloutit son plat à une vitesse vertigineuse. Il expliqua bien vite la raison : il était tout simplement en retard. Saluant rapidement les filles, il ne tarda pas à s'éclipser à toutes jambes, laissant les deux filles de joie seule.

« Il était drôlement pressé... »

Lentement, Lola essaya de le plus qu'elle pouvait sans se rendre malade afin de faire honneur aux talents de cuisinière d'Irina. Elle faisait vraiment de bons plats, et la félicita, après quoi, se sentant plus réveillée, elle aida la jeune femme à débarrasser et à nettoyer la cuisine. C'était toujours du temps qu'elles ne passaient pas à la maison close, mais il fallait bien qu'elles y retournent à un moment ou un autre, sans quoi le patron remarquerait leur absence...

« Il va être temps d'y aller... allons-y toutes les deux ensemble ? » proposa la mexicaine.

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