Séance d'entrainement [Ted/Lola]

Les premières lueurs de l'aube brillaient sur Tumbleweed, encore relativement silencieuse, ses habitants plongés dans un sommeil qu'ils ne tarderaient pas à quitter. Lola, elle, était déjà debout depuis un certain temps, et prenait garde à ne pas faire trop craquer le plancher alors qu'elle arpentait son appartement. L'endroit était plutôt insolite ; le nombre de plantes présentes pouvait sans doute rivaliser avec celui de la réserve de l'apothicaire de la ville... en tout cas, une odeur agréable flottait dans les pièces de la petite habitation.

En silence, Francesca se dirigea vers sa commode. Aujourd'hui, pas de décolleté plongeant, pas de corset, rien, en somme, de ce qui composait l'apanage d'une fille de joie. La jeune femme enfila donc un simple corsage blanc, une longue jupe et ses bottines les plus confortables. Elle allait en effet avoir de la route à faire, jusqu'à la région de Bolson Creek. C'était là-bas qu'elle avait habitée, enfant, avec son père, quand il était encore en vie. À présent, il n'y avait plus grand chose qui l'attendait là-bas, sinon les souvenirs, mais elle y retournait de temps à temps – après tout, il y avait dans cette région nombres de ses connaissances qui travaillaient dans les fermes alentours, et l'on pouvait trouver certaines plantes uniquement dans les marais.

Habillée, coiffée d'un simple chignon, son colt dissimulé sous sa jupe et les épaules recouvertes d'un châle, Lola se glissa en silence hors de son appartement et rejoignit vite la rue. À cette heure, il faisait encore assez frais, et seuls ceux dont les activités nécessitaient d'être matinal déambulaient dans la grande avenue. La jeune femme, notant un geste dans son champ de vision, tourna la tête vers la maison close ; un homme venait d'en franchir les portes... la mexicaine leva les yeux au ciel, pensait-il vraiment trouver quelqu'un de disponible à cette heure ? Cela ne l'aurait pas étonnée que ce soit un nouveau... quoiqu'il en soit, la fille de joie se détourna et continua son chemin, remontant l'avenue principale et sortant bientôt de la ville pour se diriger vers le Nord. C'était le seul chemin qu'elle connaissait par cœur : elle avait certes un sens de l'orientation épouvantable, mais elle savait qu'entre Bolson Creek et Tumbleweed, elle ne se perdait jamais.

Quelques temps plus tard, elle était arrivée à l'une des principales fermes des environs. C'était dans cette ferme qu'avait travaillé, et ici que vivait un de ses amis d'enfance encore aujourd'hui. Il ne lui fallut pas longtemps avant de le trouver : il travaillait avec d'autres ouvriers à bâtir une nouvelle grange ; Lola s'approcha et héla le jeune homme qui descendit pour aller saluer son amie. La jeune femme nota les regards de méfiance des autres hommes, mais elle ne s'en formalisa pas ; elle y était habituée. Peu importait le nombre d'années qu'elle habitait la région, elle restait une étrangère.

Elle ne retint pas longtemps son ami, il devait se remettre au travail et elle reprendre sa route. Elle avait une grande plaine déserte à traverser encore avant d'arriver à destination, et le soleil avait déjà parcouru une bonne partie du ciel. Toutefois elle s'arrêta encore une fois en chemin, au beau milieu de la plaine. Elle n'était pas toute seule ; une silhouette se tenait à plusieurs mètres d'une maison abandonnée et d'un arbre mort. Le plus silencieusement possible, Lola s'approcha de l'homme, resté tout à fait immobile. Une fois qu'elle fut suffisamment près, elle reconnut de qui il s'agissait, mais resta muette ; et restant près de la barrière, elle observa les gestes de Theodore, le shérif de Tumbleweed.

Il y eut un long, long, long moment de silence. Lola s'était statufiée, de même que Ted, qui visait toujours l'arbre, d'où pendait une vieille bouteille de verre mais où aussi été posée une corneille noire. Le tir fit presque sursauter la fille de joie tant elle s'était habituée au silence. Avec un bruit mat, la corneille tomba de la branche et chuta au sol, morte. Francesca haussa les sourcils ; Ted venait de faire mouche, ce qui était véritablement un exploit. En effet, elle connaissait la faiblesse du shérif : il était très peu doué aux armes à feu ; après tout, il était de notoriété publique qu'il préférait faire l'usage de la dynamite. Mais cette prouesse de la part de son ami la surprit agréablement. Levant les mains, elle applaudit doucement, faisant ainsi rendre compte de sa présence à Theodore.

« Muy bien, amigo. J'ignorais que tu avais fait de tels progrès. »

Souriante, la jeune femme finit par s'approcher de son ami pour le saluer comme il se devait. Elle était certaine qu'il avait réussi à toucher sa cible, mais son visage ne reflétait absolument pas la victoire ou la fierté, bien au contraire, il semblait plutôt déçu, ce qui interloqua la jeune femme.

« Hé bien, tu en fais une tête ! C'est la première fois que je te vois atteindre une cible du premier coup, je pensais que tu serais content. Quelque chose ne va pas ? »

Nul doute qu'elle serait encore plus étonnée si Ted décidait de lui expliquer la vérité...

Theodore était partagé. Pour une fois, il avait fait mouche. C'était un évènement pour lui car ses balles partaient généralement dans un mur ou bien dans le vent, sans percuter quoique ce soit. Ce qui n'était pas plus mal en fait... Il ne désirait pas blesser quelqu'un involontairement et c'était pour cette raison qu'il s'isolait. En fait, il y avait une autre raison... Il ne voulait pas que quelqu'un soit témoin de sa nullité au tir. Même s'il était parfaitement conscient de son incompétence, il avait tout de même une fierté. Mais là, il avait eu une cible. Sauf que ce n'était absolument pas celle qu'il visait.

Il n'avait pris conscience de l'existence de la corneille que lorsque celle-ci tomba de l'arbre comme un poids mort, dans un tourbillon de plumes noires. Il fallait voir le bon côté des choses... il avait touché quelque chose. Mais puisque c'était involontaire, il n'en tirait aucun mérite. Et il était encore plus vexé que s'il n'avait rien touché du tout. Blasé, il était blasé. Il était en train de se dire que même avec toute la bonne volonté du monde, il n'arriverait jamais à tirer correctement avec une arme à feu. Mais au moins, il était le seul à savoir à quel point il s’était loupé.

Enfin, c’était ce qu’il croyait jusqu’au moment où des applaudissements se firent entendre, le faisant sursauter et presque lâcher son arme. Quelqu’un était là. Quelqu’un avait assisté à la scène. Quelqu’un était témoin de sa nullité. Et il savait très bien de qui il s’agissait. Son léger accent et sa voix lui étaient bien familiers puisqu’il les entendait tous les jours ou presque. Il s’agissait de Francesca, son amie. Elle était bien au courant de son incapacité à se servir d’une arme à feu quelle qu’elle soit et cette fois-ci elle était un témoin direct de son échec. Sauf qu’au final, elle pensait qu’il avait réussi son coup. Ses applaudissements et ses félicitations en étaient la preuve et Theodore savait bien qu’ils n’avaient rien d’ironiques ou de moqueurs ; elle le pensait vraiment. C’était encore plus blasant pour le shérif…

Lentement, il se tourna vers celle qui s’approchait de lui. Il lui offrit un léger sourire qui disparut bien vite de ses lèvres. Que devait-il répondre à ça ? Il pouvait toujours lui mentir et faire semblant d’avoir réussi son coup, qu’il avait atteint la bonne cible. Après tout, lui seul savait quelle avait été sa cible réelle. Cependant, il ne voulait pas mentir à son amie simplement par fierté. De toute façon, elle devait commencer à se douter de quelque chose puisqu’elle le questionnait à propos de la moue qu’elle faisait. Cette fois, il ne pouvait plus reculer. Rangeant son revolver dans son étui, il fit face à celle qui était surnommée Lola.

« Salut Fran. » fit-il avant de soupirer « C’est vrai, l’oiseau est bien mort… mais c’est la bouteille que je visais. Oui oui, celle qui pend, presque deux mètres en dessous. » ajouta t-il en pointant la dite bouteille du doigt avant de hausser les épaules « Je suis nul. Même avec le meilleur entrainement du monde, je n’y arriverais jamais. Je crois que je vais me contenter des explosifs. Ca au moins, je sais faire. D’ailleurs, si tu pouvais éviter d’en parler à qui que ce soit… je t’en serais reconnaissant. Dire que même une femme est plus douée que moi, c’est vexant. »

Il réalisa ce qu’il venait de dire mais trop tard. Lola était en effet une bonne tireuse, elle savait maitriser différents types d’armes à feu, ce qui n’était pas tellement répandu chez les femmes. La plupart était incapables de se défendre seules. Theodore avait conscience du talent de son ami et il n’était pas spécialement macho. Mais c’était surtout la déception qui parlait à sa place. Se passant une main derrière la tête, il fit légèrement remonter l’arrière de son couvre-chef, ce qui le fit se baisser à l’avant, masquant ses yeux.

« C’est pas ce que je voulais dire… Excuse-moi. C’est juste que des fois, j’aimerais être aussi doué que toi, c’est tout. Enfin, j’imagine que tu ne venais pas par ici pour admirer un raté tenter vainement de s’entrainer. Qu’est-ce que tu fais si loin de la ville ? »

Généralement, il la voyait surtout au niveau de la maison close. Il n'était pas mécontent de la voir à l'extérieur de la ville. En fait, il espérait pouvoir un jour lui faire changer d'avis en ce qui concernait son choix de métier. Elle valait mieux que ça, il le savait. Mais puisqu'elle était là, il pourrait sans doute lui demander quelques conseils pour parvenir à mieux tirer. Seulement, vu sa gaffe, il hésitait. Il ne désirait pas se prendre la tête avec l'une de ses rares véritables amis.

Si elle n'était pas la seule, Francesca faisait au moins partie des très rares personnes qui connaissaient le talon d'Achille du shérif de Tumbleweed. Cette faiblesse ne datait pas de la veille ; aussi loin qu'elle pouvait s'en souvenir, Theodore n'avait jamais été un fin tireur. Ce n'était pas pourtant faute de déployer de multiples efforts, le moment présent en était la preuve : ils étaient plutôt éloignés de la ville où Ted faisait respecter la loi, et au vu des armes et des munitions posées sur le rocher non loin d'eux, l'homme avait planifié une importante séance d'entraînement. Lola ignorait depuis combien de temps il était là, mais au vu du tir qu'elle venait de voir, elle se disait que le shérif devait s'entraîner depuis un bon moment, ou que sa réussite était le fruit de plusieurs séances secrètes. Quoiqu'il en soit, Lola était ravie de voir que son ami s'était amélioré dans ce domaine.

C'est donc en toute sincérité, après avoir assisté discrètement au tir et à sa supposée réussite en voyant la corneille noire tomber morte dans la poussière, que la fille de joie applaudit avec le sourire, révélant du même coup sa présence à son ami. Ce dernier ne l'avait absolument pas soupçonnée avant qu'elle ne se décide à se faire remarquer. C'est donc sur le compte de la surprise que Lola aurait pu mettre l'étrange expression sur le visage de Ted, mais à mesure qu'elle s'approchait de lui, elle se rendait compte que malgré son exploit, il n'était absolument fier ou même content. Il semblait plutôt découragé, ce que Lola ne comprit pas.

La jeune femme ne broncha pas quand Ted l'appela Fran. C'était l'un des rares, voire même le seul, qui connaissait son vrai prénom. Le shérif ne tarda pas à lui expliquer la raison de sa déception, ce qui interloqua davantage la mexicaine. C'était donc ça ! Les yeux de Lola se fixèrent de nouveau sur l'arbre mort, et plus particulièrement sur la bouteille suspendue et la branche où s'était tenu le défunt oiseau. Il ne vint même pas à l'idée de la jeune femme de rire à cette découverte, d'une parce qu'elle n'en avait pas envie et de deux parce que c'était la dernière chose dont avait besoin Theodore.

« Oh, je vois... mais tu sais c'est déjà un bon début ! Tu étais dans le bon axe. Et puis les cibles de ce genre, les bouteilles, ne sont pas toujours faciles à atteindre, même si elles sont juste posées sur une barrière. »

Lola essayait de faire voir les choses au shérif sous un angle différent, et d'une manière à ce qu'il ne se décourage pas. C'était son ami, et elle ne voulait pas qu'il jette l'éponge alors qu'il y avait de toute évidence de quoi travailler. Le but n'était pas, après tout, qu'il devienne un tireur d'élite, mais un atout supplémentaire avec un maniement correct des armes à feu ne pouvait que l'aider dans sa tâche déjà bien lourde.

Elle écouta le reste de ses paroles. Ça y est, il se décourageait, mais au moins il pouvait dire sans mentir que les explosifs étaient sa spécialité. Francesca ne se départit pas de son sourire amical, haussant simplement les sourcils quand Ted avoua se sentir vexé que la jeune femme soit meilleure que lui. Cependant, Lola ne répondit rien, car elle comprenait ce que voulait dire son ami. Elle n'était pas offensée. Habituellement, c'étaient les hommes qui étaient les meilleurs dans le maniement d'armes, qu'elles soient à feu ou blanches. Sa fierté d'homme était par conséquent blessée. Se rendant compte de la maladresse de ses paroles, il s'excusa, son stetson lui cachant les yeux. La mexicaine s'approcha de nouveau du shérif, et saisissant doucement son chapeau entre ses doigts, le souleva légèrement pour rencontrer le regard de son ami, avec un calme sourire.

« Tu n'es pas nul Ted. Il te faut peut-être plus de temps. Et puis, tu as d'autres atouts, señor Pumba, il n'y a d'autres virtuoses de la dynamite comme toi ! » fit-elle d'un ton encourageant. « Je n'ai pas l'intention de le crier sur les toits, tu le sais bien. Et tant que je le pourrais, je serais ravie de pouvoir t'aider à t'améliorer. »

Le message était on ne peut plus clair. Francesca était tout à fait disposée à aider son ami si ce dernier lui demandait des conseils. Ted était l'un des très rares amis de la jeune femme. Leur amitié ne datait pas de la veille, non plus. C'était sans doute pour cela qu'elle était si forte. Contrairement à la quasi-totalité des Américains qu'elle fréquentait, le shérif ne tenait pas rigueur de ses origines étrangères. Lola ne serait pas étonnée de découvrir qu'elle était à moitié acceptée parce que son père était bien originaire du Texas. Malgré tout, cela n'empêchait pas la jeune femme de dormir, ni de vivre.

« Non, c'est vrai. Je ne m'attendais pas à te trouver ici. En tout cas le terrain est plutôt pas mal pour s'entraîner. Tu viens souvent ici ? En fait, je retournais un peu à la maison de mi padre. Même s'il n'y a rien là-bas... j'aime bien y passer un peu de temps. Bien que la matrone n'aime pas trop que je m'absente... »

À cela, il n'y avait rien d'étonnant. Lola avait de nombreux clients et gagnait donc pas mal d'argent, ce qui faisait bien les affaires de la patronne de la maison close, ainsi que la sienne. Au moins, elle gagnait bien sa vie.

« Je suis contente de te croiser ici. En dehors de Tumbleweed, ça change. Tu n'as rien contre le fait que je reste un peu ? »

Maintenant qu’il s’était fait prendre en flagrant délit de total échec, Theodore s’attendait à la sanction. Il avait révélé à son amie à quel point il s’était loupé. Au lieu d’une bouteille, c’est un oiseau qu’il avait eu. Il y avait franchement de quoi rire tant la situation était improbable. Il  n’y avait vraiment que Ted pour se louper autant en matière d’armes à feu. Même s’il préférait parfois l’oublier, il en était bien conscient. Ce n’était pas pour rien qu’il s’entrainait même si au final, ça ne servait pas à grand-chose…

Ted s’attendait donc à ce que Lola s’amuse de cette situation humiliante mais ce ne fut pas le cas. Au contraire, elle lui affirmait que ça n’avait rien de simple et que malgré tout, il s’était bien placé. Essayait-elle de lui remonter le moral ? Sans doute. Cela n’étonnait pas tant le shérif. Il connaissait bien la jeune femme et elle ne lui avait jamais fait un coup en traitre. Il savait qu’il pouvait compter sur elle. Cependant, il se demandait si elle disait juste ça pour lui faire plaisir ou si elle le pensait vraiment.

« Je suis sûr que toi, tu y serais parvenue du premier coup… Enfin au moins je tire dans le bon sens. J’imagine que ça pourrait être pire… Je ne vois pas trop comment progresser en fait. A croire que ça ne sert à rien de persévérer. Ca doit être mon destin de ne jamais me servir correctement d’une arme. Merde, ça ne doit pas être si compliqué pourtant ! » lâcha-t-il en donnant un coup de pied agacé dans un caillou qui se trouvait là, l’envoyant valdinguer à quelques mètres de là.

Plus il y pensait et plus il se remettait en question. Comment pouvait-il gérer une grande ville comme Tumbleweed s’il était incapable de tirer ? Pour l’heure, il y allait au bluff et cela fonctionnait plutôt bien. Mais qu’en serait-il le jour où la rumeur disant qu’il ne savait pas tirer se répandrait comme une trainée de poudre ? Il perdrait toute crédibilité et les habitants seraient à nouveau en danger. Et lui, il se ferait sans doute rapidement tuer s’il n’avait pas d’autres cordes à son arc. Par chance, sa réputation le précédait et peu de monde osait le défier, de peur de se retrouver avec un bâton de dynamite dans les poches. Mais combien de temps cela allait durer ? Seuls les anciens habitants de la ville étaient au courant du passé criminel de Theodore. Son atout ne le resterait sans doute pas jusqu’à la fin des temps, il devait évoluer. Et puis, il ne l’avait pas réclamé, ce poste de shérif !!

Agacé par la situation, ses mots dépassèrent sa pensée et il se sentit idiot d’ainsi s’en prendre à celle qui n’avait fait que le soutenir. Oui, elle était plus douée que lui et oui, elle était une femme, mais ce n’était pas une raison non plus. Désolé de sa réaction, il essaya de se faire oublier et de ne surtout pas croiser le regard de son amie, usant de son chapeau pour masquer ses yeux. Mais la jeune femme le lui releva, façon de lui prouver qu’il n’avait pas à s’en vouloir. A moins que ce n’était une amorce pour lui mettre son poing dans la figure… Mais vu qu’elle lui souriait, il en doutait. Il planta son regard bleuté dans le sien puis lui fit un sourire désolé alors qu’elle lui assurait qu’il n’était pas si nul que ça. Ca, il fallait en toucher un mot à la corneille décédée…

Mais ce que retint surtout Theodore, c’était la façon dont elle le surnommait. Ce n’était de loin pas la première fois mais cela l’amusait toujours. Et puis, cela lui rappelait qu’effectivement, il était un virtuose de la dynamite. Entre ses mains, c’était une arme mortelle mais surtout paradoxalement précise. Il savait toujours comment doser ses munitions pour qu’elles soient toujours efficaces selon la situation. Pour le coup, un sentiment de fierté l’envahi, oubliant momentanément son échec cuisant. Et puis, l’important était qu’elle lui proposait son aide.

« Plus de temps ? Je ne m’entraine pas que depuis deux jours. J’ai l’impression de ne jamais progresser. La dynamite, c’est tellement plus simple, plus… instinctif. Tu crois que je perds mon temps au final ? Je suis juste peut-être pas fait pour ça. Enfin… tu veux réellement bien m’aider ? Je te préviens, je ne serais sans doute pas l’élève idéal. »

Theodore n’était pas mécontent de trouver son amie ici mais il était intrigué de savoir ce qu’elle faisait dans le coin. D’ordinaire, il la voyait plutôt en ville. Elle avoua qu’elle venait de la maison de son père, appréciant de s’y rendre de temps à autres même si la matrone de la maison close n’aimait pas la savoir en vadrouille. Le shérif, lui, était au contraire bien content de ne pas l’y voir. Peut-être était-ce le début d’un changement de métier pour elle ?

« Au moins ici je suis sûr de ne pas risquer de tuer accidentellement quelqu’un. Enfin à part un oiseau bien sûr… Je viens de temps à autre, quand je n’ai pas trop de boulot. Autant dire pas souvent en fait… Pourquoi ne pas retourner vivre à la maison de ton père si tu t’y sens bien ?  C’est vrai  que c’est un peu loin de la ville mais bon. Avec un cheval, le trajet serait rapide, tu ne crois pas ? Et puis t’éloigner de la ville ne fait pas de mal… je pense. »

Theodore ne retournait jamais à l’emplacement de la ferme de ses parents. Déjà parce qu’elle avait brûlée il y a de ça des années mais aussi parce que cela lui rappelait de biens mauvais souvenirs. Et puis, qu’irait-il faire dans une ruine ? Sa vie, elle était désormais à Tumbleweed. Il ne comptait cependant pas rejoindre la ville tout de suite, souhaitait encore s’entrainer. Et puisque Francesca lui demandait si elle pouvait rester, il y trouvait là une raison supplémentaire de ne pas bouger.

« Bien sûr que tu peux rester. Sinon, comment vas-tu m’entrainer, hmm ? » fit-il remarquer avec un fin sourire « Et puis comme ça, je peux profiter de ta présence et retarder ton retour à… ton travail. J’ai amené un peu à manger dans le sac si jamais tu as faim. Au pire, on pourra toujours aller chasser. Si tu n’as pas peur de mes compétences ou de devoir faire tout le boulot. »

Sur ces mots, il lui tendit son arme qu’il venait d’extraire de l’étui. Il était curieux de la voir à l’œuvre mais de ce dont il se souvenait, elle était douée.

Lola n'était pas une adepte de la moquerie, loin de là. Il lui arrivait bien sûr de taquiner un peu Theodore avec son utilisation inhabituel de la dynamite, mais c'était aussi un moyen de lui rappeler que c'était un atout incontestable. Il était en effet un virtuose en la matière, et cela compensait son manque total d'habileté au tir. Pourtant, il ne se privait pas d'entraînement, comme maintenant. Mais peut-être se mettait-il aussi la barre un peu trop haute. Vouloir éclater une bouteille suspendue à une branche d'arbre n'était pas un exercice des plus simples. Quoiqu'il en soit, cet échec tapait sur le système du shérif.

« Calma, Ted... Oui, ça pourrait être pire, et ça l'a déjà été. Au moins, ça prouve que tu t'es amélioré. Je crois que tu es trop exigeant avec toi-même. Laisse-toi le temps, on ne peut pas devenir un tireur d'élite en trois jours... ni même en un an. Pour moi non plus ce n'était pas facile au début. »

Francesca était certaine que son ami finirait par savoir tirer, mais il fallait qu'il se laisse le temps, ce qui évidemment n'était pas quelque chose d'aisé avec sa fonction de protecteur de la ville, d'autant plus que les bandits étaient loin de se faire rare. Ted avait hérité d'une bien lourde tâche, en même temps que son étoile de shérif. C'était d'autant plus ardu qu'il était seul ; peut-être devrait-il songer à prendre un assistant ou quelque chose de ce genre... Lola n'y connaissait pas grand chose, mais se promit d'en discuter avec son ami. Mais pour le moment, l'homme avait bien autre chose en tête. Il ne cessait de rabâcher son échec, et émit donc à haute voix ses regrets, celui notamment d'être moins douée que la fille de joie.

Mais la jeune femme n'était pas offensée. C'était la mentalité de l'époque après tout, Ted valait même bien mieux que certains hommes qui ne prenaient les femmes pour rien d'autre que des objets. Lola n'était pas dupe et savait que c'était la déception qui faisait parler son ami, qu'il n'avait pas voulu dire ça comme ça. C'est pour cela qu'elle ne tint pas compte de sa gêne et qu'elle continua de lui sourire, preuve qu'elle ne lui en voulait pas le moins du monde. Une nouvelle fois, elle lui rappela qu'il était un virtuose dans l'utilisation des explosifs, et elle put voir un éclair de fierté passer dans ses yeux d'un bleu étonnant. Le sourire de la jeune femme s'accentua. Ted était un homme certes, mais ça n'était pas pour autant qu'il n'avait pas besoin d'être soutenu ni qu'on ne lui rappelle pas ses points forts.

« Je le sais bien. Mais ce n'est pas une raison pour abandonner. Tu ne seras peut-être pas un fin tireur, je ne sais pas, mais je compte bien t'aider à t'améliorer autant que je le peux. J'espère que tu seras un élève bien sage, sinon gare à la punition. » dit-elle d'un ton enjoué.

Quel calme plat ici, dans la plaine, tout l'opposé du brouhaha de la ville de Tumbleweed qui devait y régner en ce moment-même. Ce devait être pour cela que Lola appréciait de venir encore dans la maison de son père, loin du tumulte de la cité. À force de voir tous les gens des visages différents, la solitude dans un endroit calme était quelque chose de très appréciable. Mais elle était heureuse de croiser son ami loin de la ville également. Au moins ici, ils pouvaient passer du temps ensemble sans que l'un ou l'autre ne soit rappelé par le travail.

« À part les corneilles... crois-moi que ce ne sont pas les agriculteurs qui t'en voudront, bien au contraire. Dis-toi que tu viens de sauver plusieurs plants de maïs ! Fit-elle en riant. C'est bien ce qu'il me semblait... est-ce que tu as déjà pensé à prendre un assistant ? Ça t'allégerait le boulot et tu aurais plus de temps pour toi. »

Bien sûr il n'appartenait qu'à lui de prendre une telle décision, mais Francesca pensait que c'était une bonne idée. Elle songeait que Ted aurait ainsi plus de temps pour s'entraîner. Et puis, le shérif n'était pas obligé de dire à qui que ce soit ce qu'il faisait de ce temps supplémentaire. La jeune femme était consciente que son ami n'avait aucun intérêt à révéler ses lacunes en tir, rien ne le forçait donc à mettre qui que ce soit au courant, même son possible assistant.

« Non... ça ne me dit rien. Je n'y viens que pour trouver un peu calme et retrouver des souvenirs, mais je ne me vois pas revenir y vivre. J'ai besoin de travailler, alors autant que je reste à Tumbleweed. Tu penses que ce n'est pas mal que je m'éloigne ? Pourquoi ? Ce n'est pas comme si je prenais à cœur les regards méprisants des autres. »

Quoiqu'il en soit, ce n'était pas le moment de retourner à la ville. Theodore acceptait l'aide de son amie, c'était le moment ou jamais de l'entraîner. Lola était prête à partager son savoir et ses techniques avec lui. Le jeune homme semblait y voir un autre avantage également, mais la mexicaine ne releva pas ce détail. Le shérif désapprouvait le métier de son ami, elle le savait. Mais ce n'était pas comme si, au final, elle avait vraiment eu le choix...

« Je suis contente aussi de pouvoir rester un peu avec toi, amigo. Et je n'y vois aucun inconvénient. La maison de mi padre n'est pas loin, on pourra aller s'y reposer, il y a même un puits pas loin, je sais pas si tu t'en rappelles. Tu crois qu'on peut chasser avec de la dynamite ? J'aimerais bien t'y voir à l’œuvre ! »

Souriante, Lola prit l'arme que lui tendait Theodore et procéda aux vérifications. Les balles, la sécurité... ne manquait que la cible, mais l'épreuve de la bouteille attendrait un peu. La jeune femme dénicha dans la vieille cabane abandonnée une vieille plaque de métal qui ferait une cible parfaite, suffisamment grande pour débuter l'entraînement de son ami. Elle alla la caler solidement sur les branches de l'arbre, puis s'éloigna pour retrouver son ami.

« Bien. On va commencer avec un tir à 10 mètres à peu près. Avec quel œil vises-tu ? »

En quelques points, la jeune femme lui expliqua rapidement le principe de l’œil directeur à son ami, et lui rappela qu'il valait mieux garder les deux yeux ouverts pour viser, de même qu'il était bien mieux viser avec les yeux sur le guidon du pistolet plutôt que la cible en elle-même. Après tout, cette dernière était assez grande et le fait que les contours soient flous ne changeait rien au fait que le tir pouvait être précis. Pour appuyer ses dires, Lola montra l'exemple et tira une fois sur la plaque de métal, avant de se retourner et de confier l'arme à Ted.

« Allez, à toi. N'oublie pas de bloquer ta respiration, et vise avec le guidon. »

Elle laissa la place à son ami et le regarda donc faire, gardant le silence afin de ne pas le déconcentrer. Il n'y avait pas énormément de vent, ce qui était une complication en moins.

Theodore jurait entre ses dents, frustré contre lui-même. A vrai dire, en ce moment, il avait la sensation d’être retourné plusieurs longues années en arrière, lors de la mort de ses parents. A l’époque où il était incapable de se défendre tout seul, à l’époque où il était faible. A moins qu’il ne le soit encore maintenant ? Cette simple pensée le faisait fulminer sur place et il avait besoin de se défouler sur la première chose à sa portée. En l’occurrence, ce fut un pauvre caillou qui en fit les frais, volant relativement loin, propulsé d’un coup de pied rageur. Lola tenta de le calmer et de lui faire voir le bon côté des choses. Seulement, elle se méprenait quelque peu.

« Me laisser le temps ? Mais Fran voyons, je suis shérif ! Tu crois que les pourritures qui saccagent ma ville tous les jours vont attendre que je sois devenu doué au tir pour foutre le bordel ? Ca fait des années que j’essaie, sans le moindre résultat. Je crois que je ferais mieux d’abandonner… »

Sentant les bâtons de dynamite cachés sous son veston appuyer contre son torse, Ted commençait à regretter ce qu’il appelait « le bon vieux temps ». L’époque où il pouvait faire ce qu’il voulait sans avoir à rendre de compte à qui que ce soit lui manquait. Pourquoi diable son père adoptif lui avait-il fait promettre de prendre sa succession ? Il devait bien se douter qu’il n’était pas fait pour ça ! Il était un criminel après tout… Peut-être que c’était justement pour le faire changer. Mais pouvait-on changer à ce point là ? Quelque part, Ted désirait venger la mort de l’ancien shérif. Mais pour ça, il fallait qu’il sache se servir d’une arme à feu. En fait, il se demandait si un bon bâton de dynamite ne suffirait pas. Ce n’était certes pas des plus précis, mais quelle importance ? Les dommages collatéraux, ça arrivait…

Lola eut la bonne idée de lui rappeler que, même s’il avait clairement besoin d’entrainement en ce qui concernait le tir, la dynamite en revanche n’avait aucun secret pour lui. Ca, c’était bien vrai. L’égo de Theodore avait bien besoin d’entendre ça et il pensait de plus en plus à ne plus utiliser que sa bonne vieille dynamite. Au moins elle, elle n’était pas contrariante. Pas comme ces fichus morceaux de ferraille incapables de viser là où il le désirait ! Ce n’était pas sa faute si ces engins de mort n’était pas adapté à sa personne. Ca, c’est ce dont il essayait de se persuader. Mais il n’était pas dupe, il savait très bien qu’il se voilait la face. Au moins, Francesca accepta de l’aider et de lui donner quelques conseils. Elle lui fit comprendre que s’il n’était pas un élève assidu, il risquait une punition. Hey, c’était lui le shérif, c’était lui qui punissait les gens !

« Je serais curieux de voir de quelle façon tu vas me punir tiens… Un indice ? Je ne sais pas si j’ai envie d’être sage… » répliqua t-il avec un sourire en coin, amusé

Le travail de Theodore ne lui permettait pas d’user de son temps comme il le souhaitait. Oh, il aurait pu bien sûr, faire selon son bon vouloir sans prendre en compte le besoin de la ville. Mais malgré son passé, Ted était droit dans ses bottes en ce qui concernait son métier. Il ne voulait plus décevoir celui qu’il avait trop déçu déjà par le passé. Même s’il était mort, il faisait en sorte de respecter sa mémoire. Mais malgré cette bonne volonté, Ted ne pouvait pas se dédoubler. Il avait clairement besoin d’un assistant, d’un adjoint qui pourrait l’aider dans sa tâche. C’était ce que Fran lui proposait justement.

« Bien sûr que j’y ai pensé figure toi. Mais personne n’a envie de ce boulot contraignant. Crois moi, peu de personnes désirent faire respecter la loi en risquant leur propre vie. Oh je ne désespère pas d’en trouver un, hein, mais on va dire que les candidatures ne se bousculent pas. Et puis, je ne veux pas non plus d’un incompétent notoire. J’le suis bien assez comme ça déjà… Imagine si j’engageais quelqu’un d’aussi nul que moi au tir ? On serait pas dans la merde… »

Ici, au milieu de nul part, les deux amis avaient réussi à se croiser. Comme quoi le monde était petit. Mais Ted était content de voir Francesca ici. Parce que cela signifiait que pendant ce temps, elle n’était pas à… son travail. Si on pouvait appeler ça comme ça. Il essaya de le lui faire comprendre via un sous-entendu mais celle-ci ne sembla pas comprendre. Elle disait avoir besoin d’argent… Mais elle possédait des talents qui auraient pu lui éviter de s’adonner à la prostitution.

« C’est bien quand tu t’éloignes parce que pendant ce temps, tu n’es pas en train d’écarter les jambes devant le premier type qui passe. » lâcha t-il d’un air agacé sans trop réfléchir à ce qu’il disait

Réalisant que c’était on ne peut plus blessant pour son amie, Theodore se pinça les lèvres. Elle savait très bien ce qu’il pensait de cette activité qu’elle avait choisi mais ce n’était pas une raison pour l’enfoncer. Ce n’était pas dit méchamment pour elle, c’était juste que cela l’énervait de voir une fille comme Lola, capable de plein de choses, de faire ce métier là. Elle était dévalorisée aux yeux des autres gens et passait pour une moins que rien alors que c’était une femme formidable.

« J’veux dire, tu pourrais passer à autre chose non ? C’est pas comme si t’étais une incapable. Tu vaux mieux que ça, Fran. »

Puisque Fran acceptait de l’entrainer, c’était le moment où jamais de s’y mettre. Chacun avait encore le temps avant de partir faire une autre activité. Ils avaient même un point de chute au cas où ils ne souhaitaient pas rentrer en ville tout de suite. Ted n’était pas contre l’idée d’aller chasser pour s’entrainer un peu et accessoirement ramener de quoi manger. Fran lui demanda alors si l’on pouvait chasser avec de la dynamite. Connaissant l’explosif sur le bout des doigts, le shérif secoua la tête.

« Quelle idée ! La dynamite, ça pardonne pas. Sûr que ça tuerait l’animal… mais il en resterait plus grand chose ! Un tir bien placé ne peut pas rivaliser je crois… On pourra toujours se poser chez toi quand on en aura assez, c’est une bonne idée. »

Theodore tendit son arme à Lola puis attendit qu’elle lui dise quoi faire. Il la suivit des yeux lorsqu’elle alla placer une plaque de métal trouvée dans la cabane dont il se servait de temps à autre. Il resta silencieux, attendant qu’elle lui demande si elle avait besoin d’un coup de main. La connaissant bien, il savait qu’une telle demande risquait de ne pas venir. Lola était du genre débrouillarde et indépendante après tout. Elle revint près de lui pour lui poser quelques questions.

« Je vise avec le gauche. En fait, je peux utiliser les deux, ça ne me pose pas de problème. Peut-être que je me sers du mauvais ? »

Ecoutant attentivement les conseils de son amie, Ted essayait de tout assimiler rapidement afin de pouvoir se débrouiller seul au plus vite. Il ne voulait pas non plus la monopoliser trop longtemps bien qu’il appréciait sa présence et son aide. La jeune femme fit feu pour appuyer ses propos et toucha la cible. Cela semblait si facile pour elle que Ted commençait à stresser. Il ne voulait pas avoir l’air encore ridicule devant elle.

Prenant l’arme doucement, comme s’il avait peur de se brûler, Theodore se plaça. Il observa la plaque un instant avant de tendre le bras dans sa direction. Suivant les conseils de son amie, il prit son temps, visant sans fermer un seul œil et bloquant sa respiration au moment où il pressait la détente. La détonation retentit et un « cling » bien particulier retentit. Il l’avait touchée ! Dans le coin gauche de la plaque se trouvait la trace d’un impact. A quelques millimètres près, il ne l’aurait pas touchée. Mais là, il avait bel et bien réussi son coup. C’était loin d’être parfait mais le simple fait de ne pas avoir tiré à côté le fit presque bondir de joie sur place. Les yeux écarquillés, il tourna la tête vers Lola vivement.

« J’ai réussi ?? » demanda t-il d’un air hésitant avant de voir Lola hocher la tête. Aussitôt, il se jeta sur elle pour la serrer dans ses bras « J’ai réussi ! Ouais !! T’es géniale, merci ! » fit-il en l’embrassant sur la joue

Il se contentait certes de peu mais c'était mieux que ce qu'il avait toujours fait jusqu'à présent.

Les hommes n'étaient pas patients, c'est un fait. Theodore ne dérogeait pas vraiment à la règle. Preuve en était qu'un caillou valsa après que le shérif lui ait mis un coup de pied, exprimant ainsi sa frustration. Lola ne pouvait toutefois que le comprendre. Il n'en était pas à sa première tentative d'apprendre le tir. Mais ce qui lui manquait le plus en réalité, c'était le temps ; avec tous les criminels qu'il y avait dans les alentours de Tumbleweed, Ted ne pouvait jamais vraiment se poser et se mettre à apprendre pleinement à tirer avec des armes à feu. Aussi, bien qu'elle soit juste et sincère, la remarque de la mexicaine était un peu malvenue. Se laisser le temps ? Ça ne serait pas demain la veille pour lui.

« J'en suis consciente, amigo. Mais ce n'est ni une raison pour te décourager, ni pour abandonner. Je suis intimement convaincue que tu y arriveras, parce que je sais que tu en es capable. Il faut optimiser ton temps libre, et quant aux criminels, il me semble que tu fais des merveilles avec ta dynamite. En plus, ça dissuade plutôt... quoiqu'il en soit, continua-t-elle en vrillant ses yeux dans ceux de son ami, je ne veux pas t'entendre dire que tu es nul. Parce que tu ne l'es pas ! Quant aux armes à feu, je ferais tout ce qui m'est possible pour t'aider à t'améliorer. »

Francesca n'avait que très peu d'amis à Tumbleweed et aux alentours. Était-ce au final si étonnant ? Son père avait été un américain, mais elle, elle restait une mexicaine, une étrangère. Son métier n'arrangeait pas non plus les choses, si bien qu'on la regardait souvent de travers – du moins du côté de la gent féminine. Les hommes eux, savaient oublier les origines de la jeune femme le temps d'une nuit avec elle. Theodore était tout le contraire. Non seulement, ils se connaissaient depuis l'adolescence, mais il était aussi plus ouvert d'esprit, plus tolérant, et ne prenait pas les femmes pour des objets. Une attitude qui était rarissime dans le coin, mais on ne peut plus bienvenue. Même si elle était une catin, ce n'était pas pour autant que Lola n'avait pas droit au respect... non ?

Quoiqu'il en soit, du respect, elle en recevait de Theodore, et cela lui suffisait. L'homme n'avait jamais changé d'attitude envers elle, même lorsqu'elle avait délaissé son tablier de serveuse pour revêtir les jupons de la maison close. Même si sa décision n'avait pas enchanté son ami, il ne l'avait jamais abandonnée. Aussi, Francesca était totalement disposée à offrir ses conseils et à apprendre à tirer aux armes à feu à son ami. Il en avait besoin, et en tant qu'amie, la mexicaine se devait de tout faire pour l'aider. Le plus difficile en réalité, c'était le manque de confiance de Ted... combien de fois la jeune femme l'avait-elle entendu dire qu'il était nul ? Mais il ne l'était pas, elle allait le lui prouver, et il se le prouverait lui-même ! Lui rappeler son talent pour les explosifs était aussi une très bonne chose, cela l'aidait à regagner confiance en lui. Il avait un atout indéniable et ce serait une grave erreur que de l'oublier. En tout cas, ce n'était pas pour autant que le nouvel élève de la jeune femme devrait se montrer dissipé ! La jeune femme n'avait pas vraiment songé à de punition, mais une idée lui vint à l'esprit.

« Hm... un seul mot dans ce cas, « échange » ! Ce sera quelque chose de terrible. » fit-elle sur un ton qui se voulait menaçant, mais démenti par son sourire.

Jusqu'à présent, Ted, de nature consciencieux et sérieux, avait fait ses preuves en tant que shérif de Tumbleweed, protégeant la ville et les citoyens contre les malfrats, mais la tâche n'était pas facile pour lui. Il croulait en effet sous le travail, ce n'était donc pas étonnant qu'il n'ait que peu de temps pour lui-même et pour apprendre à tirer. C'est pour cela que Lola évoqua la possibilité pour lui d'engager un assistant, qui pourrait l'aider et ainsi lui alléger largement le travail. Bien entendu, le shérif y avait déjà songé, mais il était confronté là aussi à plusieurs difficultés qui n'étaient pas faciles à passer outre.

« Je comprends... ce n'est pas facile. Mais tu peux bien exiger de ton futur assistant qu'il maîtrise les armes à feu, il ne sera pas assistant pour faire uniquement joli. Les compétences de tir sont les seules qualités que tu demandes ? Qu'est-ce que tu attendrais d'autre d'un aide – à part bien sûr de l'efficacité ? »

À Tumbleweed, il n'était pas rare que Ted se déplace jusqu'à la maison close pour rendre visite à Lola. Certainement pas pour obtenir ses faveurs, car ils n'étaient que des amis, mais simplement pour passer du temps avec elle et discuter. La jeune femme aimait beaucoup ces moments-là, et était toujours heureuse de voir son ami. C'était une belle coïncidence qu'ils se croisent aujourd'hui également, à Bolson Creek. Ils se trouvaient dans un contexte environnemental bien différent, ce qui n'était en réalité pas pour déplaire à Theodore. Lola crut comprendre qu'il pensait que c'était bien qu'elle s'éloigne de la ville à cause du mépris que les gens avaient pour elle, mais elle se fourvoyait, en réalité. Le shérif le lui fit bien comprendre.

Francesca ne broncha pas. Son ami était agacé, cela s'entendait au ton qu'il employait, et qu'il regretta aussitôt après, vu la façon dont il pinçait les lèvres. La jeune femme eut un léger soupir. Bien sûr... le métier de prostituée n'était pas des meilleurs, mais il avait l'avantage de faire vivre assez bien la mexicaine. Elle était belle, sa beauté et ses... « talents » étaient son gagne-pain. Bien sûr, elle avait bien d'autres compétences. Les plantes, par exemple. La jeune femme avait la main verte et savait comment préparer certaines substances avec des végétaux dans un but curatif. Dans le temps, c'était toujours elle qui préparait des décoctions quand elle-même ou son père ou d'autres gens étaient malades. Elle avait essayé de se faire embaucher chez l'apothicaire à la mort de son père, mais ce dernier n'avait pas voulu d'elle. C'était donc par la force des choses qu'elle s'était retrouvée serveuse puis enfin, fille de joie. Elle eut un sourire sans joie pour son ami.

« Je sais Ted. Mais ce n'est pas faute d'avoir fait des efforts. L'apothicaire n'a pas voulu m'engager, pas plus que les lingères. Tous ont prétexté qu'ils n'avaient pas besoin de quelqu'un en plus. Mais la vérité, c'est qu'ils ne veulent pas d'une étrangère parmi eux. Je ne suis pas dupe. Je continuerais de chercher à travailler ailleurs, mais en attendant, je n'ai que cela pour pouvoir vivre. Mais... gracias, amigo, fit-elle en attrapant doucement les mains de Theodore, ce que tu dis me fait plaisir. »

Ne restait plus qu'à mettre en place les cibles pour l'entraînement au tir. Ils avaient du temps devant eux, aussi pourraient-ils se reposer quand ils le voudraient dans l'ancienne maison de Lola, où elle vivait avec son père du temps où il était vivant. Bien qu'elle n'y revienne pas souvent, elle l'entretenait du mieux possible à chacune de ses visites, ce qui faisait qu'elle était toujours habitable. Quant à la nourriture, ce n'était pas un problème, il suffirait d'aller chasser pour avoir de la viande fraîche. Lola s'interrogea alors sur la possibilité de chasser avec de la dynamite, et interrogea donc l'expert en la matière, qui lui répondit par la négative. Il ne resterait pas grand chose de la bête après l'explosion.

« Très bien. Hew, je vois... mais ça fera une occasion supplémentaire de t'entraîner ! » lui lança-t-elle avec un clin d’œil.

Il était temps à présent de préparer le terrain d'entraînement. Une plaque de métal ferait bien l'affaire, toute trouvée dans le cabanon abandonné à côté de l'arbre mort. Elle était suffisamment grande pour un tir de moyenne portée, ce qui était parfait pour que Ted débute. Il s'était mis la barre un peu haut avec sa bouteille suspendue, qui était une cible potentiellement mobile s'il y avait du vent. Ce n'était pas ce qu'il y avait de plus simple. Une fois qu'elle eut positionnée la plaque, elle vérifia le pistolet de Ted, le soupesant au passage. Annonçant l'exercice, elle lui demanda quelques détails sur sa façon de tirer.

« Peut-être bien. Normalement, si tu es droitier, il faut viser avec l’œil droit, et inversement. Mais après, c'est selon tes convenances. Il y a un test très simple pour le savoir. Pointe ton doigt sur la cible par exemple, et ferme un œil, puis l'autre. L’œil avec lequel tu vois encore ton doigt sur la cible, c'est celui-ci, ton œil directeur. »

Après quelques explications supplémentaires, Lola fit une démonstration à son ami avant de lui rendre son arme et qu'il puisse se mettre à son tour à l'exercice. Elle lui recommanda bien de viser avec le guidon et de retenir son souffle. L'homme prit le temps qu'il lui fallait, ça allait de toute manière, ils n'étaient pas pressés. Derrière le shérif, la fille de joie examinait attentivement les mains de Ted. Ne tremblait-il pas un peu ? Cela pouvait être décisif pour le résultat de son tir... qui ne tarda pas à partir. Le « BANG » fut ainsi suivi d'un petit tintement de métal bien caractéristique. Regardant la cible, Lola eut un large sourire. Ted avait bel et bien atteint la cible. Pas en plein dans le mille évidemment, mais c'était un excellent début ! Le shérif lui-même semblait ne pas en revenir. Lola hocha vivement la tête pour confirmer son succès, toujours souriante. Elle le serra à son tour dans ses bras, rieuse.

« Tu vois ? Je t'avais dit que tu y arriverais ! Tu es sur la bonne voie, amigo ! »

Ça faisait vraiment plaisir de voir Theodore sourire ainsi. Il faut dire qu'il n'en avait pas souvent l'occasion. En tout cas, Lola espérait que ce progrès avait redonné confiance en lui à l'homme ! Il était capable de savoir tirer et c'était exactement ce qu'ils allaient prouver ! Ainsi, Theodore pourrait posséder un deuxième atout en plus de sa manipulation parfaite des explosifs.

« Allez, maintenant éloigne-toi un peu plus et refait la même chose. Ah, attends un peu, vise la cible, mais ne tire pas, je voudrais vérifier quelque chose. »

Elle attendit que Theodore se mette en place avant de s'approcher de lui et de poser les doigts de sa main droite sur ses poignets. La mexicaine discerna un léger tremblement. Une fois qu'elle en eut la certitude, elle se recula et hocha la tête vers son ami.

« Tu trembles un peu. Sois plus ferme. Tu contrôles cette arme, c'est toi qui décide de l'endroit où ira se loger la balle. »

Francesca se fit silencieuse pour ne pas déconcentrer son ami, qui prenait de nouveau le temps de bien viser la plaque. Y arriverait-il à nouveau ? La fille de joie n'en doutait pas.

Ted n’était de loin pas un homme au sang chaud qui s’énervait pour un oui ou pour un non et qui avait la gâchette facile. De toute façon, s’il l’avait eu, il aurait eu plus de chances de se tirer dans le pied qu’autre chose. Généralement, il relativisait assez bien les choses, savait les analyser et réfléchissait toujours avant de se lancer. Mais parfois, il n’y arrivait pas. Lorsqu’il voulait absolument quelque chose et que cette dite chose lui échappait, il perdait son sang froid. C’était exactement ce qui arrivait en ce moment, alors qu’il peinait à toucher une cible à l’aide de son revolver. Il fallait dire qu’il disposait d’assez peu de temps pour s’entrainer et qu’à trop vouloir faire tout trop vite, il ne faisait que se mettre des bâtons dans les roues tout seul. Lola lui assura que la dynamite pouvait suffire. Elle n’avait sans doute pas tort mais il ne voulait pas non plus réduire la ville en cendres. La dynamite n’avait pas ce côté… précis qu’avaient les armes à feu.

« Plus facile à dire qu’à faire… Je ne peux pas prévoir à quel moment des criminels vont se décider à faire du grabuge. Je ne dispose pas de mon temps comme je le souhaite. Et je ne suis pas nul ? Mais Lola, ouvre les yeux, je n’arrive même pas à toucher un truc d’aussi près ! Si je ne suis pas nul je suis quoi ? Un cas désespéré ? » fit-il en soupirant avant de faire un faible sourire « Ton aide ne sera pas de trop, je te l’assure. »

Bien que l’égo de mâle de Ted en prenait un coup de se faire aider par une femme, il le vivait au final plutôt bien. Car Fran était son amie, il la connaissait depuis longtemps. Il avait dépassé le stade du « c’est une simple femme ». Il la savait douée avec une arme à feu alors peu importait qu’elle porte un jupon. Le fait qu’elle ait choisi un métier qu’il désapprouvait fortement n’avait pourtant rien changé entre eux. Elle était comme un membre de sa famille. Le seul qu’il lui restait à vrai dire… Et il ne voulait pas la perdre.

Lola le menaça d’une certaine punition si jamais Ted se montrait être mauvais élève. Si le shérif aurait pu se vexer d’être ainsi pris pour un enfant, il s’en amusa plutôt. Il était shérif et était adulte depuis longtemps ! Oserait-elle le punir, lui ? Il n’en doutait pas un seul instant… Mais il se demandait bien ce qu’elle pourrait inventer qui soit suffisamment menaçant pour qu’il devienne un élève assidu. Elle lui donna un indice mais cela n’aida pas vraiment Theodore à savoir si c’était quelque chose de réellement effrayant ou non. Perplexe, il croisa les bras, essayant de deviner.

« Echange ? » répéta t-il, les yeux encore plus plissés qu’ils ne l’étaient d’habitude, si bien qu’on ne voyait même plus ses iris « Alors là, je sèche… C’est censé être menaçant ? Qu’est-ce que tu veux échanger ? Nos métiers ? Je ne crois pas que ces messiers me trouvent à leur goût… »

Mais le mieux pour que Ted puisse avoir du temps pour lui, était qu’il ait un assistant. Quelqu’un qui pourrait veiller sur la ville en son absence et sur qui il pourrait compter. Mais s’il était déjà aussi peu doué que le shérif en ce qui concernait les armes à feu, ils n’étaient pas sortis de l’auberge. Toutefois, Ted ne pouvait pas se permettre d’être trop exigeant. Il n’avait déjà pas de volontaire… alors s’il commençait à poser des conditions, il allait rester seul pendant un long moment. Mieux valait qu’il ne demande rien pour le moment. Si un jour il avait trop de volontaires, là il ferait des choix. Mais pour l’heure, c’était loin d’être le cas. Qui voulait être adjoint du shérif ? C’était peu payé, pas vraiment glorieux et c’était un bon moyen de se faire descendre. Peu de gens avaient un sens aigüe de la justice. Autant dire qu’il risquait d’attendre longtemps…

« Tu sais Fran, je ne peux pas me permettre d’être exigeant. Tu vois des candidats déjà toi ? Non ? Moi non plus. Crois moi que personne ne veut faire ce métier, surtout pas ici. Alors je prendrais le premier qui se proposera… sans même faire de remarque ou quoique ce soit. Il sera adjoint d’office ! »

Il était rare que Fran et Ted se croisent ailleurs qu’à la maison close. Cela faisait plaisir au shérif de la voir dehors justement, ailleurs qu’en train de satisfaire des clients… Il détestait le travail qu’elle faisait et elle le savait bien. Encore une fois, il essayait de lui faire entendre raison, de lui rappeler qu’elle avait bien d’autres talents. Il espérait qu’un jour, elle l’écouterait. Mais il ne prenait pas en compte le fait qu’elle était une étrangère. Et ce simple fait jouait beaucoup. Ah ça, pour lui passer dessus, il n’y avait pas de problème. Mais pour tout le reste, les habitants du coin ne voulaient pas en entendre parler. Ici, les gens avaient tendance à être racistes, préférant ceux bien de chez eux. Rien de vraiment étonnant, surtout ici, au Texas. Mais cela agaçait Ted. Il pressa la main de Fran lorsqu’elle prit la sienne.

« Ils ne savent pas ce qu’il perde. Tu es une perle, Fran. J’aimerais qu’ils se rendent compte de l’erreur qu’ils font en te sous-estimant ainsi juste à cause de tes origines. Si on leur crevait les yeux, nul doute qu’ils ne feraient plus aucune différence… »

Parfois, le côté un peu violent de Ted refaisait surface mais jamais il ne se serait permis de faire du mal à son amie. Par contre, il voulait bien passer ses nerfs sur quelques animaux. En plus de le défouler, ils auraient ainsi de quoi manger pour la soirée. Mais avant de les manger, encore fallait-il réussir à les tuer. Et la dynamite n’était pas forcément la meilleure des options… Mais pour l’heure, ils n’en étaient pas encore à l’heure de manger. Mieux valait un bon entrainement avant de partir en chasse, ce ne serait pas du luxe.

Ecoutant attentivement ce que lui disait son amie, il s’exécutait, visant tour à tour avec chaque œil. Dit comme ça, ça avait l’air réellement simple… Mais Ted ne se faisait pas d’illusions. Dans la pratique, ce serait on ne peut plus dur. Il la laissa donc faire et même faire une démonstration puis ce fut à lui de s’y mettre. Se remémorant les conseils qu’elle lui avait donné, Ted prit le temps de viser. Après quelques secondes de concentration, il tira enfin et toucha la cible. Pas du tout au centre mais juste sur le côté. N’importe qui aurait été déçu. Mais pas Ted qui se réjouissait d’avoir au moins touché la cible. C’était bien la première fois qu’il y parvenait. Lola semblait être satisfaite également, lui demandant de recommencer. Tout content, le shérif était prêt à mitrailler la cible s’il le fallait. Il se remit en place mais avant qu’il n’eut le temps de faire quoique ce soit, Lola le stoppa. Ted fit ce qu’elle lui demandait bien qu’il s’interrogeait sur l’utilité d’une telle chose. Il attendit qu’elle fasse ce qu’elle avait à faire et fut surprit de la voir toucher son poignet. Apparemment, il tremblait légèrement, ce qui faussait la trajectoire. Comment ça il tremblait ? Il ne tremblait pas ! Mais préférant ne pas tenter le diable et rater sa nouvelle tentative, Ted positionna son autre main sous celle qui tenait le revolver, lui donnant un nouvel appui.

Concentré, il tira une nouvelle fois mais à côté. Pourtant, il ne se laissa pas abattre et se remit en position. Cette fois, il tint l’arme à deux mains et la positionna au centre, pile entre ses deux yeux. Il tira à nouveau et toucha la cible, un peu plus vers le centre. Au moins cette fois, il avait fait réellement mouche.

« Haha ! J’ai réussi ! Bon, ça me prend  du temps et c’est clairement pas pratique si ça arrive au milieu d’une fusillade… Mais c’est un bon début hein ?? T’es fière de moi j’espère ! » fit-il avec un grand sourire

Mais un bruit autre que des coups de feu résonna. L’estomac de Ted lui rappelait son existence. Il était temps de manger… C’était l’occasion ou jamais de tester en pratique. Ted rangea son arme puis se tourna vers Lola.

« Bon. On va chasser ? C’est peut-être un peu tôt mais je meurs de faim… et je risque de trembler davantage si je n’ai rien pour me caler l’estomac ! »

« Je le sais bien. Tu n'as vraiment pas la tâche facile... mais heureusement que tu n'es pas complètement démuni non plus. J'ai les yeux bien ouverts, amigo, et ce que je vois, c'est un homme qui a des capacités qu'il n'a pas encore pu développer ! Ça finira bien par venir, tôt ou tard. Et on va commencer dès aujourd'hui ! »

Ted était vraiment découragé, et frustré en plus. C'était un peu normal après tout, puisque Lola, étant une femme, était plus douée que lui en matière de tir. L'égo de l'homme en prenait un coup, mais il fallait bien savoir passer au-dessus de cela. Soit il le prenait mal et refusait son aide, perdant ainsi une aide précieuse pour s'améliorer en tir, soit il ravalait sa fierté le temps des leçons et gagnerait un nouvel atout en sachant se servir des armes à feu. En tant que shérif, Ted en avait vraiment besoin. Il se faisait respecter dans Tumbleweed pour sa maîtrise parfaite de la dynamite, mais il viendrait sans doute un jour où il devrait se servir d'un pistolet. Et mieux valait qu'il soit préparé lorsque ce jour viendrait. En tout cas, Lola était tout à fait prête à l'aider pour cela. C'était la moindre des choses pour une amie n'est-ce pas ?

Toutefois, Lola exigeait de son « élève » une certaine attention, sans quoi elle risquait de se fâcher et de se punir. L'assiduité et le sérieux prenaient une bonne part dans la réussite d'une entreprise ! Alors, la mexicaine menaça le shérif de lui donner une punition s'il n'était pas sage. Bien entendu, tout cea était à prendre sur le ton de la plaisanterie ! Et de toute manière, même si elle devait le punir, ce ne serait pas tellement menaçant pour Ted. Elle lui donna un indice sur ce qu'elle avait en tête, mais cela n'aida pas du tout le jeune homme à comprendre ce que la fille de joie avait derrière la tête ! L'air concentré, il avoua ne pas voir où voulait en venir Lola. Cette dernière éclata de rire.

« ¡ Caramba, Ted ! Je ne veux même pas t'imaginer travaillant dans la maison close et moi avec ton étoile sur ma veste ! Non, je pensais à tout autre chose... si tu n'es pas sérieux, on échangera nos rôles d'élève et de professeur, et ce sera à toi de m'apprendre quelque chose ! »

Si Theodore remplissait à merveille son rôle de shérif, il était indéniable qu'il croulait sous le travail. Obtenir l'aide d'un assistant lui ferait le plus grand bien, et le soulagerait énormément. Seulement voilà, personne ne voulait de ce poste. Et ce n'était pourtant pas comme si Ted était très exigeant ! À vrai dire, il était prêt à embaucher le premier venu, tant il désespérait de pouvoir compter sur quelqu'un, peu importait ses capacités. Il n'avait en même temps pas vraiment le choix...

« Je te crois volontiers... c'est dommage qu'il n'y en ait pas plus qui ait l'envie de protéger la ville. Dommage, si je n'avais pas été une étrangère, je me serais proposée. »

Hé oui. Étant mexicaine, Lola ne pouvait pas vraiment se porter volontaire pour aider Ted. Sans doute que les habitants ne l'auraient guère acceptée et encore moins respectée. Ce n'était déjà pas le cas aujourd'hui, ça ne s'améliorerait pas parce qu'elle serait passée de la maison close au bureau du shérif. En fait, Ted était à peu près le seul qui la respectait vraiment, sans prendre en compte ses origines, ce qui était bien rare dans le coin. Le racisme était quelque chose de répandu dans le Texas, mais Lola vivait avec, autant que faire se pouvait. Si elle n'avait pas encore craqué, c'était sans doute grâce à son ami, qui continuait de la soutenir coûte que coûte. Francesca s'avança vers Ted et le prit brièvement dans ses bras, un peu maladroitement, pour le remercier. Elle souriait tandis qu'elle relâchait son ami.

« Merci. C'est tant pis pour eux, je n'ai pas besoin de leur estime pour vivre. Je t'ai toi comme ami, c'est tout ce qu'il me faut. »

Ils plannifièrent ensuite une partie de chasse, qui suivrait après la première leçon de tir de Theodore. Après avoir installé une nouvelle cible, prodigué quelques conseils au shérif et effectué une démonstration, Lola rendit son arme à Theodore et le laissa faire. Son premier tir atteignit la plaque, ce qui le transporta de joie. C'était un excellent début, quoique son tir était vraiment excentré. Tandis que Ted se remettait en place pour recommencer à tirer, Lola nota qu'il tremblait légèrement, et chercha à lui redonner confiance. Il se positionna donc différemment pour tirer de nouveau, mais manqua son coup. Lola ne dit rien. Ted ne s'était pas découragé suite à cet échec, ce n'était pas le moment d'en dire plus. L'homme rectifia de lui-même sa position, et quand il tira de nouveau, la balle atteignit la cible de manière bien plus remarquable que la première fois. Lola applaudit chaudement.

« Super !! Tu vois, je t'avais dit que ça finirait par venir ! Et ça ira de mieux en mieux tu peux me croire ! Forcément que je suis fière de toi !! » fit-elle avec un grand sourire.

Puis un nouveau bruit se fit entendre... provenant très certainement de l'estomac du shérif. C'était déjà la moitié de la matinée si l'on en croyait la position du soleil, ce qui signifiait qu'il était largement temps de partir à la chasse. Le temps d'aller ensuite vers la maison de Lola, ce serait l'heure de manger. En tout cas, Theodore allait pouvoir s'exercer sur autre chose qu'une cible de métal.

« Ça marche ! Le temps qu'on trouve des proies et qu'on rentre ce sera largement temps. T'as bien mérité un bon repas pour tes efforts. » fit-elle avec un clin d’œil. « On devrait pouvoir trouver des bisons dans la plaine, par là... euh... non attends... c'est par là... ? »

Lola et son légendaire sens de l'orientation. Mythique même. Elle vivait là depuis des années, mais elle était quand même incapable de se repérer comme il faut. Elle compta donc sur Ted pour prendre la bonne direction et le suivre, abandonnant leur petit centre d'entraînement. La mexicaine se disait qu'un bison serait une cible facile pour son ami, c'était une bête assez grosse et pas très dangeureuse, tant qu'on ne l'effrayait pas.

« Ah, attends, je vais en profiter pour prendre mon colt aussi. »

Relevant sa longue jupe jusqu'à sa cuisse, Lola détacha le pistolet qui était accroché à la moitié supérieure de sa jambe. Elle prenait toujours une arme avec elle quand elle sortait. Ted avait du déjà utilisé pas mal de cartouches pour s'entraîner, alors elle pensait que sa propre arme ne serait pas de trop. Une fois l'arme en main, ils purent se remettre en route. Le soleil tapait fort même si ce n'était pas encore midi, mais quoi de plus normal dans cette région aride ? Tandis qu'il redescendait une légère colline, un bruit se fit entendre à leur gauche. Lola observa attentivement le flanc de la colline, puis leva soudainement son arme et tira. Un petit couinement retentit suivi d'un bruit sourd, comme quelque chose qui se serait écroulé. Et c'était bel et bien le cas. À présent, le cadavre d'un animal jonchait le sol sec.

« Un coyote... on devrait trouver mieux, tu en penses quoi ? »

Ted n’avait pas l’habitude de se plaindre. Même s’il n’appréciait pas son travail à sa juste valeur, il le faisait, sans ronchonner, faisant preuve de bonne volonté. Face aux citoyens, il était toujours souriant et avenant. Jamais il ne refusait de les aider et il était toujours prêt à donner de sa personne. Mais ce n’était pas pour autant que tout était rose. Il était seul et ce travail était chronophage. Mais il ne pouvait pas être partout, tout le temps. Il avait besoin de temps pour lui. Pas spécialement pour avoir des loisirs ou faire autre chose que son travail, mais pour pouvoir s’entrainer… Le tir était son point faible et c’était un peu handicapant lorsque l’on était censé faire respecter la loi.

En fait, il n’y avait qu’en présence de Fran que Theodore se permettait de râler et de soulager son esprit tourmenté. Jamais il ne le faisait en face de quelqu’un d’autre, faisant bonne figure, toujours. Mais son amie le connaissait et avec elle, il était naturel. En fait, il avait besoin d’évacuer sa frustration, besoin de mettre des mots sur ce qui l’agaçait. Râler un bon coup lui faisait du bien même si pour le moment, il ne pouvait que constater qu’il avait raison… il était nul en tir. Cependant, Fran n’était pas aussi catégorique que lui et essayait de lui faire voir le bon côté des choses. A ses yeux, elle était un peu trop optimiste… mais il avait bien besoin de ça.

« Disons que si j’avais voulu devenir shérif, je me serais entrainé avant ! Ca m’est un peu tombé sur le coin du nez sans prévenir… M’enfin. J’espère que tu as raison et que ces soit disant capacités vont apparaître parce que pendant ce temps là, je suis un peu inutile. »

Ce qu’il y avait de bien avec Fran, c’est qu’elle ne s’offusquait jamais de ce que pouvait dire Ted. Sous le coup de la colère ou de l’agacement, il avait tendance à dire des choses qu’il ne pensait pas. Et bien que certaines de ses phrases n’étaient pas très gentilles à l’égard de la jeune femme, jamais elle ne les prit mal. Malgré tout, Ted s’en voulait un peu et tenta de se calmer afin de ne plus s’en prendre à la seule personne qui se préoccupait de lui. Il ne manquerait plus qu’à force, il la fasse fuir ! Elle était bien son seul soutien, il fallait qu’il en prenne soin.

Pour l’heure, c’était elle qui prenait soin de lui en lui assurant qu’elle allait lui apprendre à tirer. Mais mieux valait pour lui qu’il soit sérieux et soit un élève assidu. Que croyait-elle ? Qu’il allait faire le fanfaron ? Il ne pouvait pas vraiment se permettre de ne pas l’écouter. Après tout, c’était lui qui lui avait demandé de l’aide… Mais pour s’assurer qu’il serait sage, elle l’avait menacé d’une punition sans préciser pour autant de quoi il était question. Ted imagina alors de quoi il pouvait être question… mais vu la réaction de Lola, il était loin du compte. Au moins, cela la fit rire.

« T’apprendre ? »

Ted se demandait bien ce qu’il pourrait lui apprendre. A tricher au poker ? Il ne l’avait jamais vue jouer… Ce n’était pas vraiment un jeu pour les femmes et puis, c’était le genre de choses innées, qui ne s’apprenaient pas. Quoi d’autre alors ? A part l’usage de la dynamite, il ne voyait pas trop. Pour ça, il était plus que doué. Mais il doutait que tout ça intéresse réellement la jeune femme. Qu’en ferait-elle après tout ? Elle utiliserait ce savoir pour fourrer de dynamite ses clients malpolis ? Sans doute pas…

« Bah… Ca n’arrivera pas de toute façon. Je ne t’ai pas demandé de l’aide pour ensuite ne pas écouter. Je serais un bon élève. »

Avoir un adjoint l’aurait déjà soulagé et lui aurait permis d’avoir plus de temps pour s’entrainer. Mais ce n’était pas le cas, il devait travailler seul et sa charge de travail augmentait de jour en jour. Fran en avait bien conscience et… contre toute attente, elle se proposa. Ted la regarda avec des yeux ronds. Elle était sérieuse là ou elle se moquait de lui ? Il ne doutait pas un seul instant de sa bonne foi et de ses compétences, mais c’était ridicule comme proposition. Déjà, elle était étrangère et ça, c’était mal vu dans le coin. De deux, elle était une prostituée… et de trois, elle était une femme. Là, c’était le combo gagnant, celui qui faisait que jamais elle ne pourrait avoir ce rôle même avec toute la meilleure volonté du monde. Ne s’en rendait-elle pas compte ? Pour le coup de l’étrangère, si. Après tout, on le lui rappelait sans cesse, ce qui détestait Ted. Mais pour le reste ? Il ne voulait pas se montrer méchant avec elle mais il fallait qu’elle voit la réalité en face.

« C’est gentil de vouloir m’aider Fran, vraiment… Mais c’est juste impossible tout ça. Tout ce que tu gagnerais dans l’histoire, c’est de te faire descendre rapidement. Je ne doute pas de tes capacités mais tu sais comment sont les gens dans la région… »

Oh ça, elle ne le savait que trop bien. Les gens ne la respectaient pas vraiment et cela agaçait Theodore au plus haut point. Cette fille était formidable mais personne ne lui laissait l’occasion de le prouver, tous plein d’aprioris. Fran vint le prendre dans ses bras pour le remercier de son soutien et Ted lui rendit l’étreinte. Il lui sourit lorsqu’elle lui certifia que son amitié seule comptait. Mais en fait, cette réflexion le surprenait un peu. N’avait-elle pas d’autres amis ?

« Toujours là pour toi Fran. Mais et les filles ? Ce ne sont pas tes amies ? Elles te respectent elles, non ? »

Lorsqu’il évoquait « les filles », Ted faisait référence aux prostituées. Il était rare qu’il les appelle autrement, n’aimant pas leur coller une étiquette sur le front ou rappeler leur dur métier. En parlant de métier, Theodore était prêt à endosser le rôle d’un tireur. A défaut d’être d’élite, il allait au moins essayer de toucher la cible. Le premier coup fut le bon et lui donna du courage, un regain de motivation. Le deuxième fut un échec total, ce qui l’agaça un peu mais il tint bon cependant. Fran le regardait, elle attendait quelque chose de lui et il ne voulait pas la décevoir. Pas question de baisser les bras à cause d’un simple échec. Il avait bien fait puisqu’il toucha à nouveau la cible, un peu mieux cette fois. Content de lui, le shérif ne put contenir sa joie plus longtemps. Fran l’applaudissait, visiblement fière de lui même si c’était loin d’être parfait. C’était un bon début.

« C’est grâce à toi ! Sinon je crois que j’aurais fini par abandonner… Il me manquait vraiment pas mal de notions ! Là j’ai l’impression que c’est déjà devenu plus simple ! »

Mais à force de s’agiter depuis des heures, il commençait à fatiguer et surtout à avoir faim. Son estomac le rappela à l’ordre et les deux amis abandonnèrent leur activité pour se mettre en route afin d’aller chasser un peu. Fran proposa d’aller chasser un bison. Un bison ? Elle était sérieuse là ? Ted la regarda de travers, se demandant si encore une fois, elle se moquait de lui. Certes, il ne pourrait pas louper une bête aussi massive… quoique. Mais le problème était qu’il n’était pas du tout équipé pour tuer une telle bête. C’était un animal puissant et résistant. Il fallait un fusil spécial s’il voulait pouvoir en tuer un. Ce n’était donc pas avec un petit revolver ridicule qu’il risquait de lui faire du mal. De plus, les bisons se déplaçaient toujours en troupeau. S’il en énervait un, il ne donnait pas cher de leur peau.

« On va éviter le bison hein, je tiens à rentrer entier. Et puis je ne sais déjà pas tirer avec un revolver alors avec un fusil… On va trouver autre chose. Plus à ma portée ! »

Ted laissa le temps à Fran de se préparer, ramassant son matériel qu’il rangea dans la petite cabane, ne prenant que ce dont il avait besoin. Prêt, il rejoignit son amie et ils se mirent en route. Ils restèrent au niveau de la plaine, ce qui facilitait leur champ de vision mais prévenait également les animaux de leur arrivée. La plaine ne donna rien… Arrivés près d’une petite colline, Lola dégaina pour tirer aussitôt. Ted lui, n’avait rien vu du tout… Vu le bruit, elle avait fait mouche. En s’approchant, ils constatèrent qu’il s’agissait d’un coyote. Hé, ce n’était pas lui qui était censé apprendre à tirer ? Au moins grâce à elle, ils avaient de quoi manger.

« Largement suffisant pour manger. Mais j’aimerais bien m’entrainer sur une cible vivante. Au pire, pour ne pas gâcher la viande, je la conserverais dans du sel. »

Pour avoir une meilleure vue, Theodore grimpa sur la colline. En contrebas, il repéra un petit troupeau de cervidés. C’était parfait ! Prenant le temps de viser, il tira sur l’une des bêtes… et loupa son coup. Le coup de feu fit prendre peur aux animaux qui se séparèrent afin de s’enfuir rapidement. Ted ne voulait pas en rester là et continua de tirer tout en avançant afin de ne pas se faire trop distancer. Chaque coup tapait à côté. Une fois son chargeur vide, il balança le revolver au sol, plongea la main dans sa veste puis en tira un bâton de dynamite. Il mordit la mèche pour lui donner la longueur désirée et la colla aussitôt contre la cendre de sa cigarette pour l’allumer. Sans plus attendre, instinctivement, il la lança en direction d’un des animaux. En fait, il avait un peu décalé son geste, anticipant la direction prise par l’animal. La dynamite explosa alors qu’elle n’avait pas encore touché le sol, balayant l’animal au passage. En fait, il ne restait plus grand chose de l’animal… à part ses bois et des morceaux de boyaux un peu partout. Emporté par son agacement, Ted avait agit impulsivement, sans réfléchir aux conséquences. Bon, il avait atomisé sa victime avec talent… mais cela n’avait pas été le but. Utiliser la dynamite pour chasser… ce n’était franchement pas une bonne idée.

« Hmm… bon… Ca ferait joli, une paire de bois chez toi ? »

Chacun avait ses forces et ses faiblesses, c'était humain. L'on était toujours plus doué dans un domaine que dans un autre. Pour la mexicaine, il s'agissait surtout du tir et de l'usage thérapeutique des plantes, et à contrario, elle ne tenait absolument pas l'alcool et était capable de se perdre même avec une carte sous le nez. C'était la même chose chez Ted. Son atout principal était l'usage de la dynamite, il était respecté par tous pour cela – personne n'avait envie de se retrouver avec un bâton d'explosif prêt à péter dans la poche de son veston – mais il était également très maladroit au tir à feu, ce qui représentait une faiblesse majeure, surtout dans son métier. Un shérif qui ne sait pas tirer comme il faut avec un pistolet, c'est pas top... toutefois, Lola était disposée à faire tout ce qu'elle pouvait pour aider son ami dans cette matière, d'autant plus qu'il le lui demandait et qu'il lui consacrait par là-même ses rares heures de temps libre. Mais avant tout ça, il s'agissait de convaincre Theodore qu'il n'était pas nul, et la tâche était loin d'être aisée...

« Je n'en doute pas. Mais ce que je regrette pour toi, c'est que tu n'aies pas pu choisir la voie que tu voulais... tu aurais du disposer de cette liberté. Quoiqu'il en soit, en s'y mettant sérieusement, je suis certaine que tu pourras bientôt tirer de manière très correcte. »

Plus que les femmes, les hommes étaient libres de choisir. Un privilège qui n'était pas toujours accordé aux représentantes du sexe faible, à moins qu'elles ne se battent bec et ongles pour cela. Concernant la fille de joie, elle n'avait pas tout à fait abandonné, mais la partie ne tournait pas en sa faveur. Elle allait passer encore bien du temps à la maison close avant de pouvoir la quitter, parce que le mépris qu'on lui portait ne lui permettait pas vraiment de se trouver un autre travail bien plus convenable – non seulement à cause de ses origines, mais également parce que ce n'était pas simple, en tant que femme.

Pourtant, elle ne prit pas mal les propos de son ami. Bien que c'était les idées courantes de l'époque, elle comprenait que Theodore ne disait cela que sous le coup de la colère et de la frustration. Vous pensez bien, une femme qui s'en tire mieux au tir qu'un homme, ce n'était pas courant. Mais le shérif s'excusa et Fran en profita pour lui faire comprendre qu'elle ne lui en voulait pas. Il était son seul ami, alors elle n'allait pas se fâcher contre lui pour de malheureuses paroles.

En tout cas, l'heure des leçons était venue, et c'est en taquinant légèrement son ami que Lola le prévint qu'elle le punirait s'il n'était pas attentif. Connaissant Ted et surtout l'enjeu que cela représentait pour lui, il y avait bien peu de chances qu'il fasse l'idiot, et de toute manière elle ne comptait pas le punir, mais plutôt procéder à un échange. Elle lui apprenait quelque chose, il lui en apprenait une autre. Pour elle c'était bien moins urgent et elle ne voulait pas accaparer non plus tout le temps libre de son ami, mais elle possédait une lacune qu'il ne serait pas mal de combler – étrange lacune d'ailleurs pour une fille de fermier... en tout cas, le shérif ne comptait pas faire l'idiot alors tout était bien.

« M'apprendre à monter à cheval... mais ça n'arrivera pas puisque tu seras sérieux. » fit-elle en souriant.

Ted avait énormément de travail. Plus Tumbleweed grossissait, et plus les malfrats arrivaient en ville. Avoir un adjoint ne lui ferait pas le moindre mal, mais c'était très difficile d'en trouver. Pourtant, ce n'était pas simple à trouver, car personne ne voulait de ce dangereux poste à vrai dire. Mais Lola, elle, n'aurait pas dit non. Si elle n'avait pas été étrangère, si elle n'avait pas été une prostituée... si elle n'avait pas été une femme, tout simplement. Elle disposait des capacités qu'il fallait, mais sa nature lui interdisait d'emblée de pouvoir travailler aux côtés de son ami, à faire respecter la loi.

« Je sais, amigo. Mais si je n'avais pas été ce que je suis maintenant, tu aurais pu compter sur moi. »

Avec des si, on refaisait le monde. Qui sait ce qu'elle aurait pu être si elle avait été toute autre chose... mais il valait mieux garder le sens des réalité si on ne voulait pas devenir de la viande froide ou terminer sa vie avec un sort encore moins enviable. Heureusement qu'elle avait Theodore pour ami, et elle le remerciait en le serrant dans ses bras. Au fond, il était un peu comme son grand frère, à sa manière de la soutenir, et elle lui en était reconnaissante. Puis il évoqua les « collègues » de la jeune femme.

« Si, mais... c'est pas pareil. On se respecte toutes bien sûr, et on sait qu'on peut compter les unes sur les autres quand il y a un souci. Pour autant... ça ne fait pas de nous des amies. Mais qui sait, ça peut toujours changer. »

Mais ce n'était pas le moment de discuter de cela. Ted disposait de temps libre, il fallait en profiter au maximum. Et ils ne furent pas déçus : au troisième essai, Theodore atteignit sa cible de manière tout à fait honorable, après que Lola lui ait prodigué quelques conseils. L'homme était vraiment heureux et la jeune femme partageait sa joie, bien contente de son amélioration et espérant que cela le motiverait à continuer et surtout le convaincrait qu'il n'était pas un nul ! En tout cas, c'était un excellent début pour l'homme qui jusqu'à présent n'atteignait jamais sa cible avec un colt... Fran ne se gêna pas pour le féliciter.

« Et ça deviendra de plus en plus simple, tu verras. Le plus important c'est que tu ne perdes pas confiance en toi ! »

Mais à présent, la priorité était toute autre chose. Les estomacs commençaient en effet à gronder, et il était peut-être temps d'aller chasser. Francesca proposa de partir à la chasse au bison, sans se rendre compte qu'elle disait une énormité. Forcément, elle n'avait jamais chassé aucun animal et elle ignorait donc qu'il fallait plus qu'une simple carabine pour pouvoir descendre un bison – d'autant plus que c'était un peu suicidaire vu que c'étaient des animaux qui restaient en troupeaux... mais tout cela, elle ne le savait pas, et elle adhéra donc à la proposition de son ami.

« De acuerdo, on ne devrait pas avoir de mal ! »

Ils se mirent donc en route après avoir rangé leur matériel, et parcoururent la plaine de Bolson Creek, relativement vide de tout animal pour le moment. Ce n'est qu'une fois arrivés au pied d'une colline que Fran décela un mouvement et tira aussitôt comme elle avait son revolver en main. Elle fit mouche et regarda ce qu'elle avait tué : c'était un coyote. Vu la réponse de Ted, c'était un animal qui pouvait se manger.

« D'accord, il devrait y avoir d'autres animaux dans le coin... tu sais quoi... c'est la première fois que j'abats un animal... »

Elle ne paraissait pas choquée ni attristée, mais en revanche on voyait bien qu'elle venait de se rendre compte qu'elle venait d'accomplir ce geste pour la première fois... sur un animal. Laissant Ted s'éloigner sur la colline, elle examina le cadavre du coyote. Elle l'avait atteint en pleine tête. Son regard était froid sur la blessure d'où s'écoulait un large filet de sang. Ôter la vie à un être vivant... ça faisait longtemps maintenant. Par contre, niveau ressenti... rien n'avait changé. Son colt en main, Lola ramassa le corps sans vie et l'emporta sous son bras ; c'était lourd mais elle n'était pas une frêle jeune fille sans muscles. Elle grimpa la colline pour rejoindre son ami quand une détonation se fit entendre. Rien à voir avec les tirs successifs qu'elle avait entendu juste avant. Cette fois, le shérif avait du utiliser sa dynamite. Arrivée au sommet de la butte, Lola constata les dégâts. Un petit groupe de cervidés s'enfuyait à toute vitesse dans plusieurs directions, tout autour d'une zone noircie par la poudre de l'explosion. Le tableau était peu ragoûtant : ne restait du cerf qu'une paire de bois et quelques morceaux de chair qu'il valait mieux ne pas avaler.

« Hé bien... je comprends mieux ce que tu disais quand tu m'expliquais qu'on ne pouvait pas chasser avec de la dynamite... ils n'ont pas intérêt à te chercher à Tumbleweed ! Quant aux bois... que dirais-tu d'en garder un chacun ? »

Tant qu'à faire. Il ne restait rien de l'animal à part cela, ce qui pouvait constituer un souvenir de cette chasse. Même si Lola ne raffolait pas vraiment de cela – elle ne pouvait pas dire qu'elle n'avait que des souvenirs heureux – elle trouvait que c'en était un de bien à partager avec son ami... si cela lui disait. Elle lui tendit ensuite son colt, dans lequel restait six balles.

« La prochaine proie sera encore pour toi, et cette fois, pas de dynamite ! Il y a encore cinq balles dedans, et au pire, j'ai d'autres cartouches sur moi. Au moins comme ça, je ne risque pas de te devancer ! »