Repérage [open!]

Un brouhaha et des haussements de voix réveillèrent Joseph, allongé sur le sol en bois de l’étage d’une grange. Il avait trouvé refuge dans une immense grange, assez proche du centre ville. C’était d’ailleurs assez curieux de trouver une grange ici, en pleine ville, mais lorsque l’on savait qu’encore récemment, Tumbleweed n’était qu’une petite ville, on pouvait facilement faire le lien. Personne n’avait jugé bon de détruire le bâtiment pour construire autre chose à la place pour le moment. Cela faisait bien l’affaire de Joseph qui avait pu se dissimuler à l’intérieur. Ayant forcé les cordes qui barraient l’entrée, il avait coincé l’ouverture principale à l’aide d’une poutre de bois afin que personne ne vienne lui rendre visite pendant la nuit. A l’origine, il avait souhaité dormir à l’hôtel mais en voyant sa bobine imprimée sur une affiche elle-même placardé sur le mur de l’hôtel, il avait étrangement changé d’avis. Là, c’était un peu trop tenter le diable…

Plutôt que de dormir directement sur le sol de la grange, le hors la loi s’était mis en hauteur, à l’étage du haut. Là, il prouvait profiter d’un plancher en bois qui n’était pas pourri ni humide et il se sentait moins isolé dans l’ombre grâce à l’ouverture située en haut. De là, il avait une bonne vue sur la ville mais il n’avait pas tellement pu en profiter puisqu’il l’avait rejoins à la nuit tombée. A vrai dire, il n’était pas tellement en état de profiter de quoique ce soit.

La veille, il avait passé une bonne partie de la nuit à suivre un groupe de hors la loi. Bien qu’il s’était fait discret, il avait fini par se faire repérer. Puisqu’il faisait sombre, ils n’avaient pas vu qui il était mais cela ne les avait pas empêchés de lui tirer dessus. Une balle avait ricoché sur une roche et avait touché Joseph au flanc. La blessure n’était pas spécialement grave, la balle lui ayant juste déchiré la peau et ne s’étant pas logée à l’intérieur, mais il saignait. Il n’avait rien à portée de main pour se soigner et il se voyait mal débarquer chez le docteur de la ville pour réclamer des soins. Nul doute qu’il l’aurait laissé mourir ou bien qu’il aurait sciemment aggravé son cas, à défaut de le remettre aux autorités. Et puis, faire le voyage jusqu’à Dead Man’s Tree ne le tentait pas. C’était trop loin et les secousses du cheval ne ferait qu’aggraver la blessure. Du coup, Joseph avait opté pour se cacher là, dans la grange, et se soigner lui même comme il le pouvait. Il avait volé des vêtements qui séchaient, pendus à des fils, et s’en était servi pour faire un bandage de fortune. Ainsi, il saignait moins même si le saignement n’était pas stoppé pour autant.

Là, au réveil, il se sentait bien plus faible qu’à son habitude. Sa blessure le tirait et son crâne lui faisait mal. Se redressant, s’appuyant contre une botte de foin, il tourna la tête vers l’ouverture qui lui permettait de voir la ville. Il ne tarda pas à trouver d’où venait le bruit qui l’avait tiré de son sommeil. Un groupe d’hommes était en train de construire un bâtiment. Bien qu’il était loin d’être terminé, l’on pouvait déjà voir ce que ce serait : une immense pancarte « Jewel’s Bank » trainait sur le sol, attendant d’être apposée comme tout le reste. Une nouvelle banque ? Voilà qui allait attirer moult bandits. Mais pour l’heure, Joseph ne s’y intéressa pas. Il se leva et changea son bandage, utilisant le reste de la chemise de la veille pour se refaire un bandage. Il constata qu’il saignait toujours, moins que la veille mais tout de même. A ce rythme, il allait attraper une infection, il lui fallait des soins.

Une fois le bandage de fortune en place, il enfila sa chemise tâchée de sang. Ce n’était pas très discret mais cela ne se verrait pas puisqu’il ne quittait jamais sa veste lorsqu’il était dehors. Enfilant la dite veste après avoir remit son holster, il la ferma à moitié, juste assez pour dissimuler ses nombreuses armes. Normalement, il la fermait en entier mais là, le simple contact du tissu lui faisait mal. Il descendit ensuite et sortit de la grange, veillant à rester discret grâce au chapeau enfoncé sur sa tête, dissimulant ses yeux. Alors qu’il marchait, il remarqua une affiche sur un mur. C’était une prime mais ce n’était pas la sienne. Rien d’étonnant puisqu’il était loin d’être le seul homme recherché. Il y en avait tant… Mais ce qui étonna Joseph était qu’il s’agissait non pas d’un homme mais d’une femme. Se dirigeant vers l’affiche, il l’attrapa et l’arracha du mur, l’observant. Il n’avait jamais vu cette femme avant et son nom ne lui disait rien. Rien de surprenant. L’Ouest était grand.

Il allait ranger l’affiche dans sa poche lorsqu’il leva les yeux, apercevant une femme assise sur son cheval, qui observait les ouvriers monter la banque. Joseph fronça les sourcils puis regarda à nouveau l’affiche. Elle lui ressemblait étrangement, malgré son chapeau qui lui dissimulait une partie du visage. Puisqu’il n’était pas certain, il s’approcha et ne se stoppa qu’une fois juste à côté d’elle. Vu d’en dessous, il constata que c’était bien elle. Une hors la loi ici, en plein milieu de la ville, pas l’air inquiétée plus que ça ? Il fallait dire que lui aussi, en était un. Se plantant à côté d’elle, il baissa les yeux sur l’affiche, parlant comme si de rien n’était.

- Encore une prime… Il y a de plus en plus de bandits dans le coin. Et cette banque ne va pas arranger les choses. Vous devriez être prudente, on ne sait pas sur qui on peut tomber.

Alors qu’il parlait, il redressa le visage vers elle, soulevant légèrement son chapeau comme pour la saluer. Ainsi, elle pouvait distinguer son visage et peut-être le reconnaître. Elle comprendrait alors, en voyant l’affiche qu’il tenait dans les mains, qu’il l’avait reconnue et qu’il était lui même un hors la loi. Joseph restait méfiant. Les hors la loi réagissaient parfois étrangement. Il était prêt à s’emparer de ses armes si il le fallait même si ses réflexes étaient amoindris à cause de la blessure. Reposant les yeux vers la banque, il fit un geste du menton vers celle ci.

- Nouvelle banque… Ca sent les ennuis. Du peu que j’ai vu, ils comptent installer des gatlings, au cas où. Ca devient dangereux de cambrioler des banques à présent… Mais le mieux, c’est encore de les voler avant même que l’argent n’atteigne leurs coffres. Personne ne s’attend à ce qu’un convoi bien escorté se fasse attaquer. C’est justement là leur faiblesse.

Il disait ça comme si il s’agissait d’une conversation tout à fait banale. En fait, il voulait la dissuader de s’intéresser de trop près à cette banque. Non pas qu’il la voulait pour lui seul, il n’était pas intéressé par l’argent, mais parce qu’il savait qu’elle serait bien défendue. Il haussa les épaules puis plia l’affiche et la lui déposa dans la main.

- Je crois que de nouveaux chasseurs de primes sont arrivés récemment. Joli portrait, en passant.

Les étrangers n’étaient généralement pas bien vus au Texas. Il n’était pas rare de voir un mexicain ou même un indien être pendu à l’entrée d’une ville. Paradoxalement, ce n’était pas les indiens qui étaient les étrangers. Mais ça, les gens avaient tendance à l’oublier, comme s’ils avaient toujours eux-même vécu ici depuis la nuit des temps. C’était sans doute le propre de l’Homme d’oublier ce genre de chose et de faire sien ce qui ne l’était pas vraiment. Ce qui lui était différent, il le rejetait aussitôt, en faisant même quelque chose de diabolique. C’était sans doute le quotidien de celle qu’il avait sous les yeux, de se faire traiter comme une paria. Peau Rose. Un nom curieux mais qui prenait tout son sens lorsqu’on la voyait. Joseph n’avait aucun apriori sur l’origine des gens et ne comprenait pas bien pourquoi la plupart des personnes qu’il avait rencontré détestait ce qu’ils qualifiaient d’étrangers. On était tous l’étranger de quelqu’un, non ?

Plutôt que de l’aborder, Joseph aurait pu partir, passer son chemin et faire sa vie, tout bonnement. Il était blessé et chercher les ennuis n’était pas la meilleure chose à faire. Toutefois, il doutait que la jeune femme fasse des émules alors qu’ils étaient entourés, des gens marchant ça et là autour d’eux. De plus, il était comme elle, un hors-la-loi. Mais ça, ça ne voulait pas dire pour autant qu’ils étaient alliés ou dans le même camp. Jo n’avait pas de camp, il défendait juste son bifsteak. Et de toute façon, si elle l’attaquait, il se défendrait, femme ou pas. Pour lui, une femme était un homme comme les autres, elle avait juste certains atouts qu’ils n’avaient pas. Bien qu’il ne leur faisait jamais de mal, si c’était elles qui cherchaient la bagarre, il y répondait.

Pour le moment, elle ne faisait rien, se contentant de le regarder comme si elle essayait de placer un nom sur son visage. Sans doute l’avait elle déjà vu sur les affiches de primes bien que tous les criminels ne se connaissaient pas. Puis finalement elle murmura quelque chose entre ses dents que Joseph n’entendit pas distinctement mais il cru reconnaître son nom. Un bref sourire se dessina sur ses lèvres, elles même cachées par sa barbe. Il espérait juste qu’elle ne le balancerait pas pour pouvoir faire diversion au cas où ils se feraient remarquer. Cela aurait été idiot de sa part d’attirer l’attention sur elle en faisant une telle chose néanmoins. Puisqu’elle l’avait nommé, il retira son chapeau légèrement, le décollant juste un peu de sa tête pour la saluer avant de le replacer correctement.

Joseph reporta son attention sur la banque, songeant à ce qu’il en savait. Si Peau Rose était là pour elle, ce qui ne l’étonnerait pas, elle devait sans doute prendre en note la configuration des lieux. C’était plutôt pratique d’assister à la construction donc. Mais c’était encore mieux de s’emparer de l’argent avant même qu’il n’atterrisse dans le coffre. Joseph donna donc les informations qu’il savait à la jeune femme. L’or de la banque ne l’intéressait pas plus que ça mais si il pouvait éviter la mort de quelqu’un qui ne lui avait rien fait, il le faisait. Peau Rose semblait méfiante, le regardant d’un œil critique mais Jo ne changea pas d’expression et reporta son regard sur les ouvriers qui pestaient sans cesse. Contre toute attente, Peau Rose lui proposa de joindre leurs efforts pour mieux s’emparer du butin. Il ne s’attendait pas à ce qu’elle lui fasse une telle proposition et se demandait si ce n’était pas un piège. Qui l’empêcherait de se débarrasser de lui après ? Jo n’aimait pas faire équipe, il aimait agir à sa guise, de la façon dont il l’avait décidé. Etre en équipe avec quelqu’un ne lui ressemblait pas et il n’aimait pas ça. Pourtant, la proposition de Peau Rose avait quelque chose d’alléchant.

- Ce sera efficace si on se montre discret et surtout si ça ne s’ébruite pas. Les nouvelles vont vite et les murs ont des oreilles… Ta proposition n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd mais… l’or ne m’intéresse pas tant. Au pire, tu me devras plutôt un service à la place, qu’en dis tu ?

L’or, il pouvait en trouver partout. Mais un service, ça c’était autre chose. Dans l’univers des hors la loi, il était difficile d’accorder sa confiance, rapidement trahie à la première opportunité. Il ne savait pas si Peau Rose était digne de confiance, si elle avait une parole, mais cela ne lui coûtait rien d’essayer pour le moment. En attendant, il lui rendit l’affiche où figurait sa trogne en gage de bonne foi. Les chasseurs de primes se faisaient de plus en plus nombreux dans les environs et mieux valait qu’ils mettent les voiles. Joseph poussa un léger soupir, sa blessure lui faisait mal et rester debout ne l’aidait pas à cause de sa plaie ouverte.

- Ca ne sert à rien de s’attarder là. On peut toujours en parler ailleurs… moins en vue.

Joseph ignorait si elle allait le suivre ou non mais lui il ne comptait pas rester là les bras balans. S’éloignant de quelques mètres, il remarqua alors un étrange manège non loin de là où il se trouvait. Un petit groupe d’hommes arrivait en ville d’un air triomphant. Le meneur portait une drôle de coiffe et Jo reconnu aussitôt Alec Wild Horn. Un psychopathe stupide et brutal. Mieux valait ne pas lui chercher des crosses mais si Joseph pouvait le tuer, il le ferait avec joie. Un homme était saucissonné sur l’un des chevaux, dans les pommes visiblement. Une capture ? Etait ce un innocent ? Sans aucun doute vu la façon de faire de ce gang. Joseph ressenti l’envie de leur causer des problèmes, de mettre un peu d’action sans pour autant y prendre part directement. N’étant pas loin du troupeau, Joseph dégaina et tira sur la corde qui retenait l’homme prisonnier, le faisant tomber à terre mais au moins, la corde ne le retenait plus. Si Jo visait mal de loin, de près il était imbattable. Rangeant son arme aussi vite qu’il l’avait sorti, il s’éloigna comme si de rien n’était, se posant contre un mur pour regarder le spectacle. Parce que du spectacle, il allait assurément y en avoir.